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saient bonne chère, ils se livraient aux passe-temps d’amour. Desportes avait séduit jadis, sans efforts surhumains, une des jeunes personnes que Catherine de Médicis réunissait en galant cénacle, pour lui servir à plusieurs fins. Elle était agréable, spirituelle et passionnée. De son commerce avec le poëte résulta une fille. Ne pouvant la mettre au monde chez la reine, mademoiselle de Vitry alla, un matin, accoucher dans le faubourg Saint-Victor, et, le soir, pour ménager l’opinion publique, se trouva au bal du Louvre : elle y dansa même, et l’on n’aurait pas deviné sa faiblesse, sans une perte de sang qui lui prit. On croyait alors qu’une ceinture, mise en contact avec l’image de sainte Marguerite, diminuait et abrégeait les douleurs de l’enfantement. La joviale pécheresse disait que les femmes légitimes pouvaient s’en passer, puisqu’elles avaient le droit de crier à pleine poitrine ; mais qu’elle était nécessaire aux filles, qui n’osaient pousser un pauvre hélas[1] ! Cette incartade, suivie probablement de plusieurs autres, ne l’empêcha pas de trouver un mari : elle devint madame de Simiers[2].

Or, pour se distraire pendant le siége, Desportes avait emmené avec lui cette fringante maîtresse. Elle cultivait la littérature à sa manière ; les idées lui venaient facilement ; mais non les rimes. Elle envoyait donc sa prose à l’abbé de Tiron pour qu’il la mît en vers. Elle ne put se rompre aux exigences du mètre qu’après avoir atteint sa quarantième année. Lorsqu’elle s’enferma dans la ville de Rouen, elle n’était point encore parvenue à cet âge respectable, qui, loin de la corriger, augmenta la verve de son esprit et l’ardeur de ses passion[3]. Villars, voyant tous les jours cette leste et provoquante personne, ne put s’abstenir du péché de convoitise ; madame de Simiers n’ayant pas la moindre envie de se montrer cruelle, l’accord fut bientôt fait : Desportes en pensa ce qu’il voulut. Comme on partage les provisions pendant une famine, les deux rivaux se partagèrent les bonnes grâces de leur divertissante compagne. Fut-ce alors, ou dans une occasion semblable, que le poëte écrivit le sonnet suivant ? Il a pu éprouver plusieurs fois la même déconvenue.

Prince, à qui les destins en naissant m’ont soumis,
Quelle fureur vous tient d’aimer cette infidèle ?
L’air, les flots et les vents sont plus arrêtés qu’elle.
Puisse une telle erreur troubler mes ennemis !

  1. Tallemant des Réaux.
  2. Louise de l’Hôpital-Vitry (c’était son nom de demoiselle) fut épousée par Jacques de Simiers, grand maître de la garde-robe du duc d’Alençon.
  3. Tallemant des Réaux.