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Sans me les déchiffrer je sçay qu’ils veulent dire,
C’est qu’à mes ducatons vous faites les doux yeux.

Quand je conte mes ans, Tithon n’est pas si vieux,
Je ne suis desormais qu’une mort qui respire ;
Toutesfois vostre cœur de mon amour soupire,
Vous en faites la triste et vous plaignez des cieux.

Le peintre estoit un sot dont l’ignorant caprice
Nous peignit Cupidon un enfant sans malice,
Garni d’arc et de traits, mais nu d’accoustremens.

Il falloit pour carquois une bourse luy pendre,
L’abiller de clinquans et luy faire respandre
Rubis à pleines mains, perles et diamans.


XLIII


Clarice aux blonds cheveux, qui semblait estre née
Pour ravir les autels et la gloire à Cypris,
Chere prison des cœurs, doux brasier des esprits,
Est nouvelle Angelique à l’ourque[1] abandonnée.

Ce sont de tes beaux jeux, ô meschant hymenée,
Qui remplis les amans de sanglots et de cris !
Le merite et l’amour par luy sont à mespris,
Et la volonté libre en triomphe est menée.

Que de pleurs sans profit, que de dieux invoquez,
Que de desseins rompus, que d’amours suffoquez !
Elle, en ce desespoir, est un marbre immobile,

Reprochant sans parler au ciel sa cruauté,
Et debat en son cœur : — Ha ! maudite beauté,
Tu m’es bien de nature un present inutile !


ADIEU A LA POLOIGNE


Adieu, Poloigne, adieu, plaines desertes,
Tousjours de neige et de glace couvertes,
Adieu, pays, d’un éternel adieu !
Ton air, tes mœurs, m’ont si fort sçeu desplaire,
Qu’il faudra bien que tout me soit contraire,
Si jamais plus je retourne en ce lieu.

Adieu, maisons d’admirable structure,
Poisles, adieu, qui dans vostre closture
Mille animaux pesle-mesle entassez,
Filles, garçons, veaux et bœufs tout ensemble !

  1. Monstre marin, dragon, tarasque ; des mots italiens orco et orca, qui ont tous les deux le même sens, à peu de chose près.