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Et voyez quelle femme au moins vous devez prendre.
Si vous l’espousez riche, il se faut preparer
De servir, de souffrir, de n’oser murmurer,
Aveugle en tous ses faits et sourd pour ne l’entendre.


XVI

Desdaigueuse et superbe elle croit tout sçavoir,
Son mary n’est qu’un sot trop heureux de l’avoir ;
En ce qu’il entreprend elle est tousjours contraire,
Ses propos sont cuisans, hautains et rigoureux ;
Le forçat miserable est beaucoup plus heureux
À la rame et aux fers d’un outrageux corsaire.


XVII

Si vous la prenez pauvre, avec la pauvreté
Vous espousez aussi mainte incommodité,
La charge des enfans, la peine et l’infortune ;
Le mespris d’un chacun vous fait baisser les yeux,
Le soin rend vos esprits chagrins et soucieux.
Avec la pauvreté toute chose importune.


XVIII

Si vous l’espousez belle, asseurez-vous aussi
De n’estre jamais franc de crainte et de soucy ;
L’œil de vostre voisin comme vous la regarde,
Un chacun la desire ; et vouloir l’empescher,
C’est égaler Sisiphe et monter son rocher.
Une beauté parfaite est de mauvaise garde.


XIX

Si vous la prenez laide, adieu toute amitié !
L’esprit, tenant du corps, est plein de mauvaistié.
Vous aurez la maison pour prison tenebreuse,
Le soleil desormais à vos yeux ne luira :
Bref, on peut bien penser s’elle vous desplaira,
Quand la plus belle femme en trois jours est fascheuse.


XX

Celuy n’avoit jamais les nopces esprouvé,
Qui dit qu’aucun secours contre Amour n’est trouvé,
Depuis qu’en nos esprits il a fait sa racine ;
Car quand quelque beauté vient nos cœurs embraser,
La voulons-nous haïr ? Il la faut espouser.
Qui veut guarir d’Amour, c’en est la medecine.