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là de croire qu’il prêterait les mains à un traité où l’on ne tiendrait pas compte de ses intérêts ! Il en garda même un vif ressentiment, et montra depuis « ce que peut un homme de conseil, quand il rencontre un homme d’exécution[1]. »

Une partie de ces manéges s’étant divulguée, le peuple jeta les hauts cris, et un rassemblement eu lieu devant la porte du négociateur. On disait qu’en ce moment même il était réuni avec deux évêques, entrés dans la ville sous un faux costume ; que ces trois personnages, autorisés par Villars, se concertaient pour livrer Rouen aux hérétiques. On voulait donc saisir les deux agents mystérieux, afin de les expulser. Mais, comme on ne les trouva point, l’émeute s’apaisa. Le poëte diplomate en fut quitte pour une alerte un peu vive. Les incidents du siége qui commença bientôt après donnèrent une autre direction aux pensées de la foule.

Cette affaire n’ayant pas réussi, le gouverneur et son conseiller intime déployèrent une vigilance d’autant plus grande : des subalternes ne pouvaient-ils pas concevoir un plan analogue et l’exécuter dans l’ombre ? Stimulé par Desportes, Villars prit à sa solde un avocat nommé Mauclerc et le chargea d’espionner les royalistes, en affectant de partager leurs opinions. Le faux frère se glissa dans leurs conciliabules et obtint connaissance d’une intrigue, qui avait pour but de livrer aux assiégeants la porte Cauchoise. Un huissier des comptes, un procureur et un sergent militaire, se trouvaient parmi les meneurs : sur l’accusation du mouchard, ils furent arrêtés, mis à la torture et condamnés par un tribunal à être pendus, sentence que l’on exécuta le 4 janvier 1592, quelques semaines après la tentative échouée de Villars et de Desportes. Le 7, une proclamation menaça de la même fin quiconque favoriserait en aucune sorte le parti de Henri de Bourbon. Ô justice humaine, voilà ton impartialité !

Le roi vint à plusieurs reprises commander lui-même le siége. Mais les deux chefs, car on peut qualifier ainsi Desportes, avaient si bien organisé la défense, que la ville demeura imprenable. La lutte qu’ils soutinrent forme, avec les batailles d’Arques et d’Ivry, avec les opérations sous les murs de la capitale, l’un des faits militaires les plus importants qui aient signalé cette longue campagne.

Villars et l’ingénieux abbé cependant se mettaient en garde contre la mélancolie. Entre deux attaques des royaux, comme on disait alors, entre deux sorties du vaillant capitaine, ils fai-

  1. Palma Cayet.