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Mesme leurs propos sont brûlans.

Mais cet ardent feu qui les tuë
Et rend leur esprit consommé,
C’est un feu de paille menuë,
Aussi-tost esteint qu’allumé.

Et les torrens qu’on voit descendre
Pour nostre douceur esmouvoir,
Ce sont des appas à surprendre
Celles qu’ils veulent decevoir.

Ainsi l’oiseleur au bocage
Prend les oyseaux par ses chansons,
Et le pescheur sur le rivage
Tend ses filés pour les poissons.

Sommes-nous donc pas miserables
D’estre serves dessous les loix
Des hommes legers et muables
Plus que le feuillage des bois ?


COMPLAINTE


Quand je viens à penser à mon cruel malheur
Et au point desastré de ma triste naissance,
Je me sens si pressé d’angoisseuse douleur,
Qu’il faut qu’en soupirant mille plaints je commance.
Je fens l’air de regrets, je despite les cieux,
Tout forcené de rage ;
Et les torrens de pleurs, que desbordent mes yeux,
Me noyent le visage.

Desolé que je suis, à quoy puis-je aspirer ?
Où faut-il que je tourne ? Helas ! que dois-je faire,
Si je ne connoy rien qui me fasse esperer
Et si je ne voy rien qui ne me soit contraire ?
Tout objet me desplaist, toute chose me nuit :
Le ciel, l’air et la terre,
La chaleur et le froid, la lumiere et la nuit,
À l’envy me font guerre.

Si j’ay quelque plaisir, c’est, helas ! seulement
Quand j’invoque la mort duisante à mon oppresse,
Pour luy faire pitié je luy dy mon tourment,
Et le mal importun qui jamais ne me laisse.
Mais j’ay beau raconter ce qui me fait douloir
À cette inexorable ;
Car, helas ! je ne puis, je ne puis l’esmouvoir
À m’estre favorable.

Lors que je la requiers de finir mon esmoy,
Elle ferme l’oreille à ma juste priere ;