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CHANSON


Las ! que nous sommes miserables
D’estre serves dessous les loix
Des hommes legers et muables
Plus que le feuillage des bois !

Les pensers des hommes ressemblent
À l’air, aux vens et aux saisons,
Et aux girouëttes qui tremblent
Inconstamment sur les maisons.

Leur amour est ferme et constante
Comme la mer grosse de flots,
Qui bruit, qui court, qui se tourmante,
Et jamais n’arreste en repos.

Ce n’est que vent que de leur teste,
De vent est leur entendement ;
Les vents encor et la tempeste
Ne vont point si legerement.

Ces soupirs, qui sortent sans paine
De leur estomach si souvent,
N’est-ce une preuve assez certaine
Qu’au dedans ils n’ont que du vent ?

Qui se fie en chose si vaine,
Il seme sans espoir de fruit,
Il veut bastir dessus l’arene,
Ou sur la glace d’une nuit.

Ils font des dieux en leur pensée,
Qui comme eux ont l’esprit leger,
Se riant de la foy faussée
Et de voir bien souvent changer.

Ceux qui peuvent mieux faire accroire
Et sont menteurs plus asseurez,
Entr’eux sont eslevez en gloire,
Et sont comme dieux adorez.

Car ils prennent pour grand’ loüange
Quand on les estime inconstants ;
Et disent que le tans se change,
Et que le sage suit le tans.

Mais, las ! qui ne seroit éprise,
Quand on ne sçait leurs fictions,
Lors qu’avec si grande feintise
Ils soupirent leurs passions ?

De leur cœur sort une fournaise,
Leurs yeux sont deux ruisseaux coulans,
Ce n’est que feu, ce n’est que braise,