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Comme la rose à l’espine est prochaine,
Comme le jour par la nuit est ravy,
Comme l’espoir de la peur est suivi,
L’humain repos est voisin de la paine.

Le dieu volant, qui pour moy n’a point d’ailes,
Tant de faveurs m’avoit fait recevoir,
Non pour mon bien, mais pour me faire voir
Qu’il garde aux grands les douleurs plus cruelles.

Que j’avoy d’heur, vivant en sa presance !
Que j’ay d’ennuy, m’en trouvant égaré !
Lequel des deux est plus demesuré,
Le bien de voir ou le mal de l’absance ?

Je n’en sçay rien ; le dueil qui me commande
De jugement trop fort me va privant ;
Mais je sçay bien, et sens en l’esprouvant,
Qu’il ne peut estre une angoisse plus grande.

Helas ! pourquoy le mal qu’Amour me donne
Ne finist-il comme a fait mon plaisir ?
Que ne s’esteint mon violant desir,
Lors que l’espoir de tout point m’abandonne ?

Je m’esbahy qu’estant loin de Marie
Mon feu cruel ne cesse aucunement,
Si toute flamme a besoin d’aliment,
Et si la mienne en ses yeux fut nourrie.

Je m’esbahy comme je puis tant vivre
Sans mon esprit, dont je suis separé ;
Je m’esbahy comme j’ay tant duré
En ces tourmens qu’une absence me livre.

Je n’ay penser qui n’outrage mon ame,
Je ne voy rien qui ne soit déplaisant ;
Le bien perdu me va tyrannisant,
Le souvenir de cent pointes m’entame.

Fier souvenir, importune memoire,
Pour mon repos veuillez un peu cesser,
Ne faites plus passer et repasser
Par mon esprit les beaux jours de sa gloire.

Ô douces nuits ! ô gracieuses veilles,
De cent plaisirs ma vie entretenant !
Ô jours si cours, las ! si longs maintenant !
Ô chauds regards ! ô beautez nompareilles !

Si pour jamais une terre inconnuë
Me doit cacher ses thresors precieux,
De grace, Amour, aveugle-moy les yeux :
Pour autre objet je n’aime pas ma veuë.

Ah ! pauvre moy ! pendant que je soupire,
Toute esperance en mes larmes noyant,