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Quel royaume assez grand, quels ports, quelles citez,
Pourront plaire à mes sens de douleur transportez ?
J’aimeroy beaucoup mieux moins de commandement :
Que sert l’authorité qui n’a contentement ?

Comme un que le soleil sans lumiere a laissé
Dans un bocage espais, de buissons herissé,
Le chemin qu’il tenoit ne sçauroit plus choisir,
Et ce qui luy plaisoit luy cause déplaisir.

Ainsi, ne voyant plus l’œil du mien adoré,
Je seray, miserable, à toute heure égaré ;
Et ce qui plus contente un esprit curieux,
Loin de vous, mon soleil, sera triste à mes yeux.

Prenant congé de vous, je le veux prendre aussi
De tant de beaux pensers conservez jusqu’icy ;
Je veux de tous plaisirs pour jamais me bannir,
Et le seul desespoir avec moy retenir.

Adieu, traits et regards si doux et rigoureux !
Adieu, seul paradis des esprits amoureux !
Adieu, divins propos dont le ciel m’est jaloux !
Las ! faut-il pour jamais prendre conge de vous ?

Adieu, rares beautez dont mon cœur est blessé !
Mais que pensé-je faire ? ô moy, pauvre insensé !
Pourquoy vous dy-je adieu pour cet esloignement,
Puis qu’helas ! je ne pars que de moy seulement ?

Je ne pars que de moy, puis qu’il me faut laisser
En vos yeux mon esprit, mon cœur et mon penser ;
Et que je n’ay plus rien qui me rende animé
Que l’ardant feu d’Amour, dont je suy consommé.


COMPLAINTE


POUR LUY MESME ESTANT EN POLOGNE. 1574.


De pleurs en pleurs, de complainte en complainte,
Je passe, helas ! mes languissantes nuits,
Sans m’alleger d’un seul de ces ennuis,
Dont loing de vous ma vie est si contrainte.

Belle princesse, ardeur de mon courage,
Mon cher desir, ma paine et mon tourment,
Que mon destin, las ! trop soudainement
Par vostre absence a changé de visage.

Ô tans heureux, quand le ciel favorable
Me faisoit voir vos divines beautez !
Ô doux propos ! ô biens si peu goustez !
Un si grand heur n’a guere esté durable.