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Vostre soleil s’en va, fermez-vous desormais ;
Ceste absence aussi bien vous aveugle à jamais.

Pourquoy, maudit Amour, l’as-tu voulu graver
Si belle en mon esprit, pour soudain m’en priver ?
Puisque je ne pouvoy long-tans la regarder,
Tu devois, par pitié, comme toy, me bander.

D’avoir veu sa beauté tout mon mal est venu.
Mais je me plains d’Amour, et je luy suis tenu ;
L’heur de voir une fois tant de perfections
Ne se peut acheter d’assez de passions.

Comme un nouveau printans sa jeunesse florist,
Sa grace au mesme point nous blesse et nous guarist,
Et tant d’astres au ciel la nuict ne sont plantez,
Qu’on voit luire en son front d’admirables beautez.

Amour par ses beaux yeux son empire maintient ;
Il y donne ses loix, s’y retire et s’y tient,
Et luy mesme d’amour s’est si bien affolé,
Que pour n’en plus partir son plumage a brulé.

De là ce grand vainqueur, tirant visiblement,
Ne blesse que les dieux et les rois seulement,
Comme digne conqueste, et ne veut employer
Les beaux traits de ces yeux pour un moindre loyer.

Comme de l’Ocean tous fleuves ont leurs cours,
Puis y vont retournant apres divers destours ;
Ainsi de sa beauté toute beauté provient,
Et, commençant par elle, en elle elle revient.

Ou comme le soleil, honneur du firmament,
Va de ses clairs rayons toute chose allumant,
À toutes les beautez son œil sert de flambeau
Et, quand il ne luit point, rien n’apparoist de beau.

Ceux qu’un si cher thresor a rendu desireux
Ne font plus cas de rien, tout est trop bas pour eux ;
Leur esprit seulement vers le ciel est porté,
Et leur ciel n’est ailleurs qu’avec sa deïté.

Comment donc, malheureux, enduray-je en vivant
Que d’un tel paradis le ciel m’aille privant ?
Et, pour une grandeur qu’on vient me presenter,
Puy-je, helas ! de ses yeux à jamais m’absenter ?

Miserable grandeur, source de tous malheurs,
La bute des soucis, du soin et des douleurs,
Helas ! pourquoy si fort t’allons-nous adorant,
Pour un songe d’honneur nos esprits martyrant ?

L’honneur tant desiré n’est qu’une vision,
Qui, troublant nos esprits par son illusion,
Fait quitter l’heur present, pour follement chercher
Une ombre qu’on ne peut voir, sentir ny toucher.