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Quel dieu plein de pitié me faut-il reclamer,
Qui me vienne en rocher maintenant transformer,
Non pour estre sans ame et pour ne rien sentir,
Mais plustost pour jamais de ce lieu ne partir.

Pensers trop inhumains, douleurs qui me troublez,
Desespoirs violans en mon ame assemblez,
Travaux, soucis, regrets, je vous invoque tous,
Ne voulant plus avoir d’autre suite que vous !

Tout plaisir desormais loin de moy soit chassé ;
Et, s’il me reste rien du bien que j’ay passé,
Que c’en soit seulement l’éternel souvenir,
Pour toujours ma douleur plus vive entretenir.

Ô France ! où j’ay receu tant d’honneurs meritez,
Tant planté de lauriers, tant d’ennemis domtez,
Je te voy, me perdant, tout en pleurs te baigner ;
Je veux donc de mes pleurs les tiens accompagner.

Comme un cruel lyon, par les bois traversant,
A la biche trop foible un fan va ravissant,
Le destin, que les dieux ne sçauroient empescher,
Me vient d’entre tes bras forcément arracher.

Mais, bien qu’un tel ennuy presse assez ma vertu,
Si ne m’eust-il jamais de tout point abatu ;
Et la douleur des miens, qu’or’ il me faut quitter,
Pouvoit bien m’affoiblir, non pas me surmonter.

Ainsi qu’un haut sapin par les vens menacé,
Bien qu’il soit esbranlé, n’est pourtant renversé,
Mais, quand le fer cruel vient son pié destrancher,
Malgré sa resistance est contraint de broncher.

Mon cœur creu par la peine, en ce point resistant
Aux plus rudes efforts, estoit tousjours constant,
Et quand quelque douleur me pensoit esmouvoir,
Tousjours pour l’empescher j’opposoy mon devoir.

Mais si grand desespoir ma raison va forçant,
Que pour y resister je me trouve impuissant,
Et me laisse aux ennuis par contrainte emporter,
N’ayant rien que les pleurs pour me reconforter.

Amour, l’aveugle enfant, m’avoit ouvert les yeux
Pour me faire connoistre un chef-d`œuvre des cieux ;
Mais, si tost que mon cœur s’est mis à l’adorer,
Le malheur me le cache et m’en fait separer.

Tout ce que pour mon bien j’avoy voulu choisir,
L’espoir de mes travaux, la fin de mon desir,
Par un cruel orage, helas ! se va perdant,
Et dès le point du jour je voy mon occidant.

Que deviendra mon cœur esloigné de son bien ?
Que ferez-vous, mes yeux ? Vous ne verrez plus rien.