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Et l’effort des mutins inutile rendu,
S’il faut que pour son bien à mon mal je consente,
Et que de vos beaux yeux si souvent je m’absente ?
Repos de mon pays, tu m’es trop cher vendu !

J’aimeroy beaucoup mieux que le ciel m’eust fait naistre
Sans nom et sans honneur, pourveu que je peusse estre
Tousjours aupres de vous doucement langoureux,
Baiser vos blonds cheveux et vostre beau visage,
Et n’avoir autre loy que vostre doux langage.
J’auroy assez d’honneur si j’estoy tant heureux !

Que le monde estonné vante ma renommée,
Qu’elle soit par le ciel comme une astre allumée,
Que sur mon jeune front cent lauriers soient plantez,
Que j’eleve un trophée à jamais perdurable :
L’honneur est moins que rien quand l’homme est miserable,
Mon heur et mon honneur gist tout en vos beautez.

Ceux des siecles passez, amoureux de la gloire,
Avec arcs triomphans consacroient leur victoire,
Ou la faisoient durer par de doctes escrits ;
Et moy, vaincu de vous, rien plus je ne demande,
Sinon qu’à vostre honneur ma desfaite s’entende
Et qu’on sçache comment de vos yeux je fus pris.

Ô beaux yeux ! mes vainqueurs, doux flambeaux de ma vie,
Vostre belle clarté s’en va m’estre ravie !
Je vous laisse, ô beaux yeux ! contraint de m’avancer.
Mais je suis transporté de ma fureur extrême,
Je ne vous laisse point, je me laisse moy-mesme :
Laissant l’ame et le cœur, n’est-ce pas me laisser ?

Je n’emporte de moy qu’une charge mortelle,
Pleine de passions et d’angoisse cruelle,
Que je n’espere pas supporter longuement ;
Mais, quand mon corps mourra, ma foy restera vive,
Car l’esprit par la mort de l’amour ne se prive :
Celuy n’aime pas bien qui le croit autrement.


COMPLAINTE


POUR MONSEUR LE DUC D'ANJOU, ELEU ROY DE POLOGNE,

LORSQU'IL PARTIT DE FRANCE. 1575.

Vers masculins.

Qui fera de mes yeux une mer ondoyer,
Afin qu’à ce depart je m’y puisse noyer ?
Et quel dueil assez pront me fera trepasser,
Ô France ! entre tes bras, avant que te laisser ?