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nête[1]. Peut-être manquait-il de finesse, comme tous les hommes de ce caractère. L’adroit rimeur sut l’apprivoiser, le dominer, le conduire. Villars avait fait sur mer des prises considérables : il obtenait chaque année de la Ligue des sommes importantes, pour rester fidèle au parti. Ses coffres pleins ne le laissaient manquer ni d’hommes ni de bâtiments. Aussi voulait-il élever sa fortune le plus haut possible, et notre auteur ne l’en dissuadait pas.

Un jour donc, les Rouennais furent bien surpris de le voir remonter la Seine avec une galère et quinze vaisseaux armés, qui portaient quinze cents soldats. Il fit descendre mille hommes dans une île, d’où l’on pouvait canonner Rouen et où les intrus se fortifièrent. Le duc de Mayenne, généralissime des troupes catholiques, fut obligé d’accourir ; un gentilhomme alla de sa part demander au hardi capitaine le motif de cette invasion menaçante. Villars répondit qu’ayant été leurré par maintes promesses et désespérant de leur réalisation, il avait pris les armes pour se faire sa part. Il exigeait en conséquence le gouvernement de Rouen et la lieutenance générale de Normandie, sans quoi il se joindrait aux royalistes. Force fut de lui accorder les titres et avantages qu’il sollicitait d’une manière si belliqueuse. En juillet 1591, le hautain personnage entra donc dans la ville, non pas comme un protecteur et un chef régulier, mais comme un véritable conquérant. Desportes s’y installa près de lui pour le diriger[2]. Le bruit courant d’ailleurs que le prince calviniste reparaîtrait bientôt sous les murs, avec des lansquenets allemands, Villars se hâta de faire des préparatifs.

Pendant qu’on amenait des vivres, abattait les faubourgs, rassemblait de nouveaux soldats et augmentait les fortifications, la rumeur populaire l’accusa de nouer des intelligences avec le cardinal de Bourbon, qui présidait le conseil du roi, et d’employer pour ces manœuvres Philippe Desportes. On prétendait que plusieurs conférences avaient eu lieu entre le poëte et un abbé de Saint-Aubin, émissaire des antiligueurs. L’affaire avait même été portée si loin, qu’on avait proposé en plein conseil de rendre à Desportes ses bénéfices et abbayes : mais, ceux qui les occupaient ayant refusé de s’en désaisir, l’auteur diplomate rompit avec dédain les négociations. Une belle idée qu’on avait

  1. Économies royales, t. VI. — Chronologie novenaire de Palma Cayet.
  2. « Il avoit pour conseil auprès de luy Philippe Desportes, abbé de Tyron, docte personnage, qui tenoit sa fortune du feu roy. » Palma Cayet, Chronologie novenaire. Ce rôle valut à Desportes, dans la satire Ménippée, quelques railleries peu mordantes.