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Expert j’en puis parler : mon ardeur retenuë,
Au lieu de s’amortir, plus chaude est devenuë
Et de ma resistance a pris accroissement,
Comme on voit un ruisseau de paisible nature
S’accroistre et faire bruit, trouvant une closture
Et, n’estant empesché, couler tout doucement.

Ô ma seule deesse ! ô belle Callirée !
Comme dans vostre temple en mon cœur adorée,
Helas ! j’ay trop souffert, esloigné de vos yeux !
Voyez ma repentance et m’ostez hors de paine.
Faillir aucunesfois est une chose humaine,
Pardonner et sauver, c’est l’office des dieux.


STANCES


POUR MONSIEUR LE DUC D’ANJOU[1], ALLANT ASSIEGER
LA ROCHELLE, 1572.


Ah Dieu ! faut-il partir ? est-ce donc l’ordonnance
Du ciel trop rigoureux, maistre de ma puissance,
Que je doive esprouver un si cruel malheur ?
Comment pourray-je vivre éloigné de mon ame ?
Non, non, si je ne meurs en vous laissant, madame,
Jamais fidelle amant ne mourut de douleur.

Je mourrai, j’en suis seur, et mon ame esgarée,
Par ce cruel depart de son corps separée,
Me laissera tout froid, palle et sans mouvement,
Et si je dure apres, ce ne sera pas vie ;
Plustost Amour, au lieu de mon ame ravie,
Animera mon corps de son feu vehement.

Abusé que je suis ! Mais que pensé-je faire ?
Je pars pour captiver une ville adversaire,
Moy qu’Amour tient au joug sans relasche arresté.
Si je suis prisonnier, doy-je esperer la prendre ?
Je vay pour assaillir et ne puy me deffendre
Seulement d’un enfant, dont je suis tourmenté.

Que me sert le renom d’avoir dès mon enfance
Acquis par mes travaux le repos de la France,

  1. Le duc d’Anjou, depuis Henri III, alla mettre le siège devant la Rochelle, avec la fleur de la noblesse française, dans les derniers mois de l’année 1572, après la Saint-Barthélemy. Le courage des huguenots épuisa l’armée royale ; les assiégeants perdirent vingt-deux mille hommes, les assiégés treize cents. Au bout de cinq mois, le duc d’Anjou saisit le prétexte de sa nomination au trône de Pologne pour abandonner l’entreprise.