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Enfant victorieux, je l’essaye au besoin.
Tu sçais, lorsque je veux de toy libre me rendre,
Comme un oyseau de proye en volant me reprendre :
Tu as les feux de prez et les fleches de loin.

Tout ce que j’ay tenté pour le bien de mon ame.
N’a servy que de gomme et de soulphre à ma flame ;
Je me suis fait nuisance en me pensant aider.
Sus donc, rentrons au joug. C’est estre temeraire
De vouloir resister, quand on ne le peut faire ;
L’homme sage obeyt, ne pouvant commander.

Mais je suis tout confus, quand il faut que je panse
De quels yeux, de quel front et de quelle asseurance
Je me presenteray pour demander mercy.
Las ! que pourroy-je dire en voyant ma deesse ?
J’abaisseray la veuë et pleureray sans cesse :
Les pleurs pourroient caver un rocher endurcy.

La royauté me nuit et me rend miserable ;
Jamais à la grandeur Amour n’est favorable.
Si je n’estoy point roy, je seroy plus contant :
Je la verroy sans cesse et, par ma contenance,
Mes pleurs et mes soupirs, elle auroit connoissance
Que je sens bien ma faute et qu’en suis repentant.

Digne objet de mes yeux, qui m’avez peu contraindre
Par tant d’heureux efforts, vostre honneur seroit moindre
Si j’avois obey dès le commencement :
Deux fois vous m’avez mis en l’amoureux cordage,
Deux fois je suis à vous ; c’est l’estre davantage
Que si vous m’aviez pris une fois seulement.

Il est bien mal-aisé qu’une amour vehemente
Soit tousjours en bonace et jamais en tourmente :
Vénus, mere d’Amour, est fille de la mer.
Comme on voit la marine et calme et courroucée,
L’amant est agité de diverse pensée.
Qui dure en un estat ne se peut dire aimer.

Estre chaud et glacé, s’asseurer en sa crainte,
Couvrir mille douleurs d’une allegresse fainte,
Renouër son lien apres l’avoir desfait,
Monstrer de n’aimer point lors qu’on est tout en flame,
Vouloir en mesme tans bien et mal à sa dame,
Ce sont les signes vrais d’un amoureux parfait.

De ces diversitez l’amour est agitée
Et par le desplaisir sa joye est augmentée,
S’enrichit de sa perte et renaist en mourant ;
Les ennuis, les rigueurs, et toute autre amertume
D’absence et de courroux font que son feu s’allume,
Qui foible s’esteindroit en repos demeurant.