Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Et guarissant mon ame en fin m’a rendu sage
Car, lors qu’il vous osta les roses du visage,
Lors même il m’arracha les espines du cœur.


XXXVIII


De tout point maintenant libre je me puis dire,
Le fer de la raison mon cordage a tranché ;
Celle par qui mon œil n’estoit jamais séché,
Ore en la contemplant m’est un sujet pour rire.

Ce que d’elle autrefois Amour me fit écrire,
Lorsque son trait de flamme au cœur m’estoit caché,
Sont tous propos d’un homme à la gesne attaché,
Qui dit ce qui n’est point, forcé par le martyre.

Le bruit de ses beautez, volant par l’univers,
N’est qu’un conte à plaisir que j’ay feint en mes vers,
Pour voir si je pourroy bien chanter une fable ;

Bref, je n’y reconnois un mot de verité,
Sinon quand j’ay parlé de sa legereté,
Car lors ce n’est plus conte, ains discours veritable.


XXXIX


Cette fureur d’amour, de raison la maistresse,
Aveugle, impatiente et qu’on ne peut cacher,
Veiller, pleurer, jurer, s’appaiser, se fascher,
Lettres, faveurs, regards, ce sont tours de jeunesse.

J’en ay fait le voyage, et faut que je confesse
Que jamais jeune cœur ne se veit mieux toucher,
Et n’eusse jamais creu qu’on me peust arracher
L’aiguillon qui dix ans m’a tourmenté sans cesse.

Mais six lustres si tost n’ont mon age borné,
Que du chemin passé je me suis destourné,
Tout honteux que si tard j’aye esté variable ;

Et dy quand de quelqu’une à tort je suis repris :
Qu’amour à l’homme meur n’est que perte et mépris,
Au lieu que sa folie au jeune est profitable.


XL


Ceux qui liront ces vers qu’en pleurant j’ay chantez,
Non pour gloire ou plaisir, ains forcé du martire,
Voyans par quels destroits Amour m’a sçeu conduire,
Sages à mes despens, fuiront ses cruautez.

Quels esprits malheureux, nuict et jour tourmentez,
Souffrent un mal si grand que le mien ne soit pire ?