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En fin sans y penser mon cœur devint en feu,
La voyant toute en proie à mainte amour nouvelle.

Ce despit furieux m’a travaillé quatre ans,
Essayant d’arrester ses pensers inconstans,
Et n’en eusse fait cas s’elle eut esté fidelle.


CHANSON


Trompé d’attraits subtils et déguisez,
Long tans mon ame en vous fist sa demeure,
Et ne pensoy voir oncq’ arriver l’heure
Que nos esprits fussent moins embrasez.

Puis il vous pleut de changer sans raison,
À tous les vents tournant vostre courage :
Dont je senti tant d’aigreur et de rage
Que j’en rompy mes fers et ma prison.

Il est bien vray que souvent du depuis
Avec regret j’en ay eu souvenance
Et, blasphemant vostre aveugle inconstance,
Sans reposer j’ay passé maintes nuits.

Mais cet ennuy peu à peu m’a laissé,
Rien plus de vous en l’esprit ne me passe ;
Et maintenant je vous rends plus de grace
Du changement que du plaisir passé.

Car vos douceurs fort long tans m’ont deçeu,
Dans leurs filés ma liberté fut prise ;
Et le dédain m’a remis en franchise,
En m’apprenant ce qu’onc je n’avois sçeu.

Franc maintenant je chante et vay disant
Que le dédain est un jus salutaire,
Propre à la vuë et qui la rend plus claire,
Purgeant d’Amour le venin plus nuisant.


XXXVII


Est-il vray qu’autresfois j’aye tant enduré
Pour des yeux que je voy sans plaisir et sans peine ?
Où sont tant d’hameçons dont elle estoit si pleine ?
Qu’est devenu ce poil crespement blond doré ?

Je regarde esbahi son teint décoloré,
Dont l’éclat autrefois la rendoit si hautaine ;
Et me mocque à part moy de ma poursuite vaine,
Remerciant le tans qui m’en a retiré.

Ce que de mes amis le conseil salutaire,
L’absence et les dédains en moy n’avoient sçeu faire,
Le cours du tans l’a fait, de mon amour vainqueur.