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XXXIV


Je l’aimay par dessein, la connoissant volage,
Pour retirer mon cœur d’un lien fort dangereux :
Aussi que je vouloy n’estre plus amoureux
En lieu que le profit n’avançast le dommage.

Je duray quatre mois avec grand avantage,
Goustant tous les plaisirs d’un amant bien-heureux ;
Mais en ces plus beaux jours, ô destins rigoureux !
Le devoir me força de faire un long voyage.

Nous pleurasmes tous deux, puis, quand je fu parti,
Son cœur n’agueres mien fut ailleurs diverti :
Un revint, et soudain luy voilà raliée.

Amour je ne m’en veux ny meurtrir ny blesser ;
Car, pour dire entre nous, je puis bien confesser
Que plus d’un mois devant je l’avois oubliée.


XXXV


Fort sommeil de quatre ans, qui m’as sillé la veuë,
M’assoupissant du tout en la nuict des amours,
Où est ce rare esprit ? où sont ces hauts discours ?
Et cette grand’ beauté, qu’est-elle devenuë ?

Or’ que la connoissance un peu m’est revenue,
Je voy que le sujet de mes douloureux jours
N’estoit rien que feintise et qu’impudiques tours
D’une que pour mon bien trop tard j’ay reconnuë.

Je rougis de ma honte et voy trop clairement
Qu’Amour n’est point aveugle, ains les siens seulement,
Puisqu’il leur vend du fard pour des beautez divines.

Je t’embrasse, ô dédain ! fin de tous mes malheurs,
Par toy je reconnoy qu’au lieu de belles fleurs
Je cueilloy des chardons et des seiches espines.


XXXVI


Je connoy par essay que nostre esprit s’irrite
Et s’aigrit de fureur, quand il est empesché :
Ainsi qu’un grand torrent, dont le cours est bouché,
Contre l’empeschement s’obstine et se despite.

Une Alcine impudique en tous charmes instruite,
Par vengeance du ciel et pour quelque peché,
En ses foibles liens me tenoit attaché,
Bien qu’elle n’eust discours, ny beauté, ny merite.

Par pitié seulement je l’aimoy quelque peu,