Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et du ciel les hauts mouvemens ;
Bref, tout ce qu’on lit de Prothée
Ne s’égale à ses changemens.

Ores je suis seul en sa grace :
Ce n’est qu’amour, ce n’est que feu ;
Un autre aussi-tost prend ma place,
Et feint ne m’avoir jamais veu.

Ce nouveau, fier de mon dommage,
Qui se forge un destin constant,
Aussi-tost se trouve en naufrage,
Et me voit au port tout contant.

J’ay fait par art et par nature
Tout ce qu’un amant peut penser,
Afin d’arrester ce Mercure,
Sans jamais y rien avancer.

Las ! ce qui plus me desespere,
C’est qu’avec tout ce que j’en voy,
Mon esprit ne s’en peut distraire,
Et l’adore en despit de moy.

Si jaloux je franchy sa porte,
Jurant de n’y plus retourner,
Mon pié malgré moy m’y rapporte,
Et ne sçauroy l’en destourner.

C’est toujours accord ou querelle,
(O miserable que je suis !)
Je ne sçauroy vivre avec elle,
Et sans elle aussi je ne puis.


XXX


Ce mignon si fraisé qui sert d’homme et de femme,
À vostre esprit leger nouvellement surpris ;
Il est vostre Adonis, vous estes sa Cypris,
Il vous nomme son cœur, vous l’appelez vostre ame.

Souvent entre vos bras il modere sa flame,
Et se mire en vos yeux, qui serf le tiennent pris ;
Pour luy ceux du passé vous sont tous à mespris,
Bref, il n’est point d’amant mieux traité de sa dame.

Ô trop credule enfant ! avant qu’il soit long-tans,
Voyant de cette mer les reflus inconstans,
Tu maudiras les dieux, ta vie et ta fortune.

Expert j’en puis parler, qui lasche et tout trempé,
Du peril fraischement par miracle échappé.
Paye au port tout joyeux mon offrande à Neptune.