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son imagination poétique, devait désirer prendre sa retraite. Jacques de Thou, qui le connaissait bien et qui le fréquentait alors, comme nous l’avons vu, nous apprend qu’il réalisa son vœu à cette époque[1].



VI


Mais il ne jouit pas longtemps de la douce nonchalance où il était parvenu à se plonger. Le 2 août 1589, le roi, qui venait de quitter sa chaise percée, reçut dans le bas-ventre un coup mortel, avant même qu’il eût pu rattacher son haut-de-chausse. La guerre civile éclata dans toute sa fureur : la Ligue et Henri IV se disputèrent la France. Jugeant douteux le succès du roi de Navarre, Desportes fit cause commune avec ses antagonistes. Sans les deux victoires d’Arques et d’Ivry, remportées peu de temps après, la maison de Bourbon n’aurait effectivement jamais succédé aux Valois[2]. Un homme qui possédait tant d’abbayes ne pouvait d’ailleurs se déclarer pour les huguenots. Un dernier motif rangea le poëte sous la bannière du parti catholique. C’était sa liaison avec le sieur de Villars, qui occupait le Havre-de-Grâce, où l’avait installé son parent le duc de Joyeuse. Desportes l’avait, selon toute vraisemblance, connu dans la société de son protecteur.

La première conséquence du choix presque inévitable fait par lui fut que les calvinistes saisirent toutes ses abbayes. Le monastère de Bonport ne put même lui servir d’asile. Avant la fin du mois d’août l’armée royale envahissait la Normandie, parvenait sous les murs de Rouen. Un nommé Rollet, gouverneur du Pont-de-l’Arche, auprès duquel était situé Bonport, livra aussitôt la place au Béarnais[3]. Pour n’être point capturé par les huguenots, le poëte dut prendre la fuite, et n’eut que le temps de se mettre en sûreté derrière les canons de Villars.

Le futur amiral était fier, emporté, brave, ambitieux et hon-

  1. « Lorsque le duc de Joyeuse eut été tué, à la bataille de Coutras, Desportes quitta la cour et se remit à l’étude. Ce fut alors qu’il travailla à sa paraphrase des Psaumes, en vers français, ouvrage très-estimable. » Histoire universelle, livre CLXXXV.
  2. « Toutes les chances étaient pour la Ligue, et pas une pour le Béarnais. » Histoire de France, par M. Michelet, t. X, p. 353.
  3. L’Estoile, Journal de Henri IV.