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CHANSON


Quand vous aurez un cœur plein d’amour et de foy,
Pur, entier et constant, pour m’offrir en eschange
De celuy si loyal que vous avez de moy,
Ne vous desfiez point qu’autre part je me range.

Mais, tandis qu’en m’aimant ou feignant de m’aimer,
Je vous verray voller pour tant d’amours nouvelles,
N’esperez, s’il vous plaist, de pouvoir m’enfermer,
Car comme vostre esprit le mien aura des ailes.

Je ne suis point de ceux qu’en doute il faut tenir,
Afin que leur ardeur dure en sa violance ;
La seule affection peut mon feu maintenir,
Qui s’esteint aussi-tost que j’entre en mesfiance.

J’aime mieux peu de bien l’ayant en seureté,
Qu’un plus riche thresor prest à faire naufrage ;
J’aime mieux m’asseurer d’une moindre beauté,
Que d’une autre jouyr plus belle et plus volage.

Vostre bouche et vos yeux, riches de mille appas,
Meritent bien qu’on meure en leur obeïssance,
Mais vostre esprit leger ne le merite pas ;
À ce que l’un contraint, l’autre nous en dispanse.

Amour est un desir de jouyr et d’avoir
Pour soy tant seulement l’objet qui beau nous semble.
Jamais de compagnon il ne veut recevoir :
Cupidon ne sauroit lier trois cœurs ensemble.

Ne vous estonnez donc que si soudainement,
Connaissant vostre humeur, autre part je me jette
C’est que je veux bastir sur meilleur fondement,
Afin que mon amour au vent ne soit sujette.


XXVII


À L’INCONSTANCE


Franc du triste servage où j’ay tant supporté,
Qu’un seul des maux soufferts me transit quand j’y pense,
Je t’en vien rendre grace, ô deesse inconstance !
Devant à ta faveur l’ame et la liberté.

Un songe imaginé, que l’on dit fermeté,
M’avoit si bien pipé par sa belle apparance,
Qu’abhorrant tout secours j’embrassay ma souffrance,
Et renforçoy les fers dont j’estois arresté.

Celle en fin qui servoit à mon feu de matiere,
Oubliant ses sermens et changeant la premiere,