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Mais quels serments peut jurer une femme
Helas ! trop tard pour mon bien je l’ay sceu !
Ô que mon cœur est pressé de furie !
Il est aisé de tromper qui se fie.

Si tu te plains, ame volage et fainte,
Du chaud despit mon courroux irritant,
Las ! contre toy j’ay bien plus juste plainte !
Tu fais le mal et je le vay sentant.
C’est tout le fruit de t’avoir bien servie ;
Il est aisé de tromper qui se fie.

Jamais ton nom en mes vers ne se lise,
Afin qu’au moins on ne puisse averer
Qui fut l’esprit si remply de feintise :
Je t’aimoy trop pour te deshonorer.
En ma douleur il suffit que je die :
Il est aisé de tromper qui se fie.

Rens moy mon cœur, desloyale maistresse,
Ce n’est raison que tu l’ayes à toy ;
Pour sa bonté trop grande est ta finesse,
Il est fidelle et tu n’as point de foy.
Assez tu as sa franchise asservie :
Il est aisé de tromper qui se fie !

Heureux amant, goustant la jouyssance
Du fruit que j`ay tant de fois savouré,
Sermens, soupirs, faveurs en abondance,
De son amour ne te rende asseuré.
À tels appas elle arresta ma vie ;
J’en fus trompé, jamais je ne m’y fie.


XXVI


Non, je ne me plains pas de l’avoir adorée,
Ny que pour l’estimer j’aye tout mesprisé ;
Je me plains seulement que mon cœur peu rusé
Ait creu fonder en elle une amour asseurée.

Ah ! maudite esperance à mon mal conjurée,
Tu m’as bien cette fois traistrement abusé,
Quand apres tant de peine en l’aimant endurée,
Un nouveau sans merite est plus favorisé !

J’ay trouvé la fontaine, on m’en oste l’usage ;
J’ay cultivé la plante, un autre a le fruitage ;
On reçoit le pay’ment du tans que j’ay servy.

Destin malencontreux des amans miserables !
Que sert d’avoir Neptune et les vens favorables,
Si le bien dans le port d’un corsaire est ravy ?