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Qui n’est sans honneur que fumée.

Encor si la longue amitié
Eust fléchy ton cœur à pitié,
J’eusse moins senty cet outrage ;
Mais en la fleur de son printans
Se vendre à beaux deniers contans,
C’est n’avoir amour ny courage.


XXII


Liberté précieuse, en mes vœux adorée,
Qui depuis si long-tans m’avois voulu laisser,
Te puy-je donc encore, ô deesse embrasser
Affranchi des liens qui mon ame ont serrée ?

T’ayant trop follement en la France égarée
Depuis tant de saisons, eussé-je peu penser
Que si loing en Pologne il fallust m’adresser,
Pour voir sous la faveur ma franchise asseurée ?

J’estoy serf doublement ; mon roy me retenoit,
Et l’œil d’une beauté mille loix me donnoit ;
J’ay congé de mon prince, et ma dame me laisse.

Car depuis mon depart son cœur elle a changé ;
Ô moy trois fois heureux ! qui me voy déchargé
D’un coup, à mon honneur, de maistre et de maistresse


XXIII


Je ne veux plus aimer un cerveau si volage,
Fantastique, incertain, qui n’a rien d’arresté ;
J’ay trop souffert d’ennuis par sa legereté,
J’ay trop fermé les yeux à mon propre dommage.

Et si pour l’advenir il faut que je m’engage
Aux attraits enchanteurs de quelque autre beauté,
Devant que mon esprit rentre en captivité,
Je voudroy voir le cœur plustost que le visage.

J’ay bien servy quatre ans, et n’ay rien avancé ;
Maintenant que l’esprit m’a du tout delaissé,
Au plus fort de mon mal ma guarison j’espreuve.

De ce pront changement je scay que vous rirez,
Mais pourtant quelquefois vous me confesserez
Qu’un tel amant que moy tous les jours ne se treuve.


XXIV


Je l’aime bien pour la douce puissance
De ces beaux yeux, si pronts à décocher,