Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais ils ne verront point, loin de vostre beauté,
D’objet qui les contente et leur soit agreable.


ODE


Cependant que l’honnesteté
Retenoit ta jeune beauté
Empreinte au plus vif de mon ame ;
Quand je sentoy brûler mon cœur,
Je me plaisoy en ma langueur,
Et nommois heureuse ma flame.

Les filés de tes blonds cheveux,
Primes, frisez, retors en nœux
De cent mille façons nouvelles,
Serroient tellement mes esprits,
Que jamais je n’eusse entrepris
De rompre des chaisnes si belles.

Ton œil, qui les dieux émouvoit,
Contraignant tout ce qui vivoit
Sous l’amoureuse obeïssance,
Et l’esclat brillant de ton teint
M’avoient si vivement atteint,
Que je tremble encor quand j’y panse.

Bref, ingrate, j’estois tant tien,
Que je mettois mon plus grand bien
À te peindre en ma fantaisie,
Pleine de tant de raritez,
Que mesme les divinitez
S’en esmouvoient de jalousie.

Quantesfois une froide peur
M’a gelé le sang et le cœur !
Combien de fois mon ame attainte
A craint que le maistre des dieux
Encor un coup quittast les cieux,
Touché de ton œillade sainte !

Toutesfois or’ en un moment
Je ne sens plus tant de tourment,
Mon ame n’est plus si craintive,
Ton poil ne me semble si beau,
Ton œil ne me sert de flambeau,
Ny ta couleur ne m’est plus vive.

Sçay-tu pourquoy ? c’est pour avoir
Ainsi manqué de ton devoir,
Engageant ta gloire estimée ;
Car ton honneur qui reluisoit,
Plus que la beauté me plaisoit