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Pour choisir la beauté que j’adore en la terre.

Ils sont couverts de neige en perdant leur soleil :
Des que je pers le mien, mon sort est tout pareil,
J’ay le cœur tout serré de glace et de froidure ;
Ils sont pleins de rochers, et mon dueil vehement
M’a privé tout d’un coup d’ame et de sentiment,
Et m’a changé l’esprit en une roche dure.

Si je n’eusse eu le cœur en rocher transmué,
L’excessive douleur aussi-tost m’eust tué,
Par une seule mort mettant fin à mes paines ;
J’eusse esté sous le faix mille fois abbattu,
Sans durer aux soucis dont je suis combattu,
Et souffrir sans mourir mille morts inhumaines.

Soit de jour, soit de nuict, je ne puis reposer,
Car mon juste regret ne se veut appaiser ;
Mes pensers importuns ne me font point de trève ;
Tant plus je vay avant, plus je suis tourmenté ;
Je souhaite le jour pendant l’obscurité,
Et souhaite la nuict quand le soleil se leve.

J’ay pour tout reconfort un espoir mensonger,
Qui veut contre mon gré mes douleurs alleger
Par le doux appareil d’un retour desirable ;
Mais foible est ce recours. Car faut-il esperer
Qu’avec tant de tourmens je puisse assez durer,
Pour attendre un retour vainement favorable ?


COMPLAINTE


ALLANT EN POLONGNE


Puis que j’eu bien le cœur de me separer d’elle,
Voyant ses deux beaux yeux si chaudement pleurer,
Je l’auray bien aussi pour me desesperer,
Et finir par ma mort mon angoisse immortelle.

Mourons donc, et monstrons, en ce dernier outrage,
Qu’il est tousjours en nous d’échapper le malheur ;
Si le coup de la mort me fait quelque douleur,
Celuy de mon depart m’en fit bien davantage.

Mais quel fleuve de sang peut laver mon offence
Et l’erreur que j’ay faite en m’esloignant de vous ?
Il n’est point de trespas qui ne me fust trop doux ;
Il faut qu’un plus grand mal m’en fasse la vengeance.

Entre cent mille horreurs je veux trainer ma vie.
Troublé, desesperé, travaillé sans cesser ;
Et le dur souvenir d’avoir peu vous laisser
Sera de mon esprit l’éternelle furie.