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Les plaisirs amoureux, non pour me contenter,
Ni pour pitié qu’il eust de ma peine soufferte,
Mais afin qu’en perdant cette felicité,
Je fusse puis apres aisément emporté
Par le grief souvenir d’une si grande perte.

Ô mer ! que j’abandonne avec mille douleurs,
Je fay croistre tes eaux par les eaux de mes pleurs,
Et fay par mes soupirs élever un orage !
Las ! je serois heureux, si la force du vant
Me noyoit à ce bord sans passer plus avant,
Afin que mon esprit errast sur ce rivage.

Celuy qui bien au vif d’amour n’est point espris,
Abandonnant les yeux dont son cœur est surpris,
Appelle ceste absence une aigre departie ;
Mais de moy je l’appelle un rigoureux tourment,
Une angoisse, une rage et un gemissement,
Qui n’a point d’autre fin que la fin de la vie.

Las ! je croy que le ciel m’avoit predestiné
Pour souffrir des travaux devant que d’estre né,
Et pour n’avoir jamais de repos sur la terre !
J’ay couru sur la mer mille et mille dangers,
J’ay supporté, chetif, aux pays estrangers,
Le froid, le chaud, la faim, les prisons et la guerre ;

Mais, pour tant de combats dont j’estois assailly,
Jamais je ne me vey le cœur lasche et failly :
Tousjours d’un ferme esprit j’y faisoy resistance.
Maintenant au besoin le courage me faut,
Et, voulant resister à ce dernier assaut,
Je perds soudainement l’esprit et la puissance.

Quand celuy qui voyage est surpris de la nuit,
Et qu’il s’est égaré du chemin qu’il poursuit,
Il a pour son recours la clarté de la lune ;
Mais, las ! où me faut-il desormais retirer,
Suivant l’aveugle Amour qui m’a fait égarer,
Puis que je ne voy plus de lumiere opportune ?

Quand le nautonnier sage est au milieu de l’eau,
Et que les vens esmeus combattent son vaisseau,
Vers un signe, luisant pour guide, il se retire ;
Mais, las ! que puis-je faire en l’amoureuse mer ?
Je voy les vens esmeus et les flots escumer,
Et si je ne voy plus mon bel astre reluire.

Vivant comme je vy, dolent et soucieux,
J’accompare à mon sort ces monts audacieux,
Qui semblent faire aux dieux une autre fois la guerre :
Ils sont voisins du ciel, et mon hautain penser
Jusqu’au plus haut des cieux s’est bien osé hausser,