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Que, le recennoissant contre moy conjuré,
Je dois jusqu’au tombeau luy faire resistance.

Laschement toutesfois, sans me mettre en deffance,
Je me rens pour un trait que vos yeux m’ont tiré ;
Bien que je voye à l’œil mon malheur preparé,
Et que le desespoir soit ma seule esperance.

Mais qui pourroit fuir le desastre ordonné ?
L’un meurt dedans son lict, l’autre est predestiné
Pour mourir au combat, l’autre au milieu de l’onde.

De moy, par les effets on peut voir clairement
Que le ciel arresta, quand je vins en ce monde,
Que je devoy mourir pour aimer constamment.


XXI


Six jours, ah ! dieux, c’est trop ! six jours sans l’àvoir veu
Plus fascheux à passer qu’un long siecle d’ennuis !
Je les appelle jours, c’estoient obscures nuits ;
Car mes yeux aveuglez n’ont jour que de sa veuë.

Le mal qui tient au lict ma puissance abatuë
Ne m’est grief, que d’autant que voir je ne la puis ;
Medecins qui jugez du tourment où je suis,
Pour Dieu, faites qu’il cesse, ou que tost il me tuë !

Vostre art ne sçauroit-il me donner le pouvoir
D’aller jusqu’au chasteau seulement pour la voir ?
Trouvez-moy ce moyen, ma langueur est finie.

Sinon retirez-vous, c’est en vain consulté ;
Saignée, herbes, onguens, ne font pour ma santé :
Mon mal et son remede est l’œil de Parthenie.


COMPLAINTE


Las ! plus je vay avant, plus je suis outragé
D’un regret inhumain, qui me tient assiegé
Depuis le triste jour que j’ay laissé ma dame,
Et que je ne voy plus la clarté de ses yeux,
Plaisans flambeaux d’amour, serains et gracieux,
Qui, comme un beau soleil, esclairoient à mon ame.

Ce dieu, qui ne veut point mes tristesses finir,
Réveille mon esprit d’un poignant souvenir,
Mettant devant mes yeux tant de faveurs laissées,
Tant de rares beautez, tant de contentemens,
De discours, de baisers, de doux languissemens,
Et tant de breves nuitcs si doucement passées.

Je connoy maintenant qu’il me faisoit gouster