Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Remportant pour loyer une playe honorable.

Or, comme je pensois estre hors du danger,
Deux yeux, qu’Amour luy-mesme avoit voulu charger,
Me vindrent dans le cœur mortellement attaindre.

Las ! les plombs ennemis ne m’avoient point blessé ;
Les balles de vos yeux sont beaucoup plus à craindre,
Qui m’ont en mille endroits cruellement percé.


XVIII


Je la doy bien haïr cette main ennemie,
Qui décocha sur moy tant de traits rigoureux,
Et du sang de ma playe, encor tout chaloureux,
M’escrivit dans le cœur le nom de Parthenie.

Toutesfois je l’adore, et la peine infinie
N’en sçauroit retirer mon œil trop desireux ;
Peussé-je luy donner cent baisers amoureux,
Pour vanger mon outrage et la rendre punie !

Ce bel amas de neige, excessif en froideur,
Pourroit en le pressant rafraichir mon ardeur,
Si le secours d’un mal se prend de son contraire.

Mais, puis qu’un si grand prix à ma foy n’est promis,
Au moins baisons son gand. Il est tousjours permis
De baiser le dessus d’un sacré reliquaire.


XIX


Se peut-il trouver peine en amour si diverse
Que ce cruel enfant ne m’ait fait endurer ?
A-t-il en son royaume une seule traverse,
Où je ne me sois veu mille fois égarer ?

En mon cœur chaque jour sa rigueur il exerce,
Ayant tousjours dequoy mon esprit martyrer ;
Et croy que sur moy seul, pour me desesperer,
De tous les amoureux tous les tourmens il verse.

J’ay demeuré quatre ans vivant en liberté,
Sans joye et sans douleur, aupres d’une beauté
De tous les dons du ciel heureusement pourveuë.

Apres un si long-tans il m’en vient enflammer,
Et, comme si j’avois une nouvelle veuë,
Je la sers, je l’adore, et meurs de trop l’aimer.


XX


J’ay tant suivy l’Amour sans avoir recompance,
J’ay tant pour l’adoucir vainement soupiré,