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guère le temps d’ailleurs de faire volte-face, quoique ces mouvements s’exécutent très-vite dans les cours. Le duc ne tarda point à voir pâlir son étoile : il avait trente-cinq ans, c’était beaucoup pour un mignon : le roi se dégoûta enfin de ses charmes, et le duc de Guise lui persuada qu’on avait surtout élevé des barricades en haine de son favori. D’Épernon fut sacrifié, n’échappa même à la mort que par son courage et ses promptes décisions.

Suivant un manuscrit de la Bibliothèque nationale, les troubles du mois de mai 1588 nous auraient fait perdre un document de la plus haute importance. Notre auteur écrivait en chiffres, c’est-à-dire en signes à lui connus, les faits et gestes de Henri III ; pendant l’insurrection, il eut peur et brûla le précieux ouvrage. Il aurait éclipsé les autres renseignements que nous possédons, ceux-ci étant rédigés par des hommes qui n’avaient pas vu de leurs propres yeux, comme le poëte[1].

Ce fut alors que le dernier se retira dans son abbaye de Bonport, en Normandie, le plus avantageux de ses bénéfices. Il éprouvait par moments à la cour des lassitudes extrêmes : elles lui faisaient regretter la campagne, elles tournaient ses yeux vers les sereines beautés de la nature et la calme existence de la province. Dans son affliction, il soupirait alors des vers pleins d’attendrissement et de mélancolie.

Ô champs plaisans et doux, ô vie heureuse et sainte,
Où, francs de tout souci, nous n’avons point de crainte
D’être accablés en bas, quand, plus ambitieux
Et d’honneurs et de biens, nous voisinons les cieux !
Où nous vivons contens, sans que la chaude rage
D’avancer en crédit nous brûle le courage[2] ;
Où nous ne craignons point l’effort des médisans,
Où nous n’endurons point tant de propos cuisans,
Où nous n’avons souci de tant nous contrefaire
Et ployer le genou, même à notre adversaire ;
Où tant de vains pensers, d’erreurs, d’affections,
De veilles, de travaux, d’ennuis, d’ambitions,
De gênes, de regrets, de désirs, de misères,
De peurs, de désespoirs, de fureurs, de colères,
De remords inhumains et de soucis mordans,
Comme loups affamés, ne nous rongent dedans,
Nous jaunissant la face ; et la dépite envie
D’une seule douleur ne trouble notre vie.

Ce tableau annonce un homme qui a souffert, et l’auteur, avec

  1. Volume 661 des manuscrits de Dupuy, ayant pour titre : Recueil d’anecdotes tirées de la conversation de divers grands personnages.
  2. Courage, au seizième siècle, était synonyme de cœur.