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Mais plus encor, insensé, je m’outrage ;
Car, en pouvant mon ardeur moderer
Par mes soupirs, je ne veux soupirer
Ny me douloir, pour brûler davantage.

C’est peu de cas qu’un mal qui se peut dire,
Aupres du mal dans l’esprit retenu,
Quand en son dueil on est contraint de rire,
Le conservant pour le rendre inconnu.

Si toutesfois vous croyez le contraire,
Et que je pense, en faisant autrement,
Vous asseurer d’aimer plus ardamment,
Bien je suivray la coustume ordinaire.

Mes passions ne seront plus contraintes,
En tous endroits nostre amour se dira ;
L’air refrappé ne bruira que mes plaintes,
Et sur mon front ma douleur se lira.

Sans nul égard par tout je vous veux suivre,
J’ay trop long-tans languy loin de vos yeux ;
N’esperent plus les propos envieux
Me separer du bien qui me fait vivre !

Aucun respect de mary ny de frere
Ne me pourra desormais abuser ;
À tous propos, sans peur de leur desplaire,
Devant leurs yeux je viendray vous baiser.

Valets fascheux, qui par vostre presance
De voir mon bien m’avez tant sceu garder,
Ne pensez plus me pouvoir retarder ;
Bien peu me chault qu’en ayez connoissance.

Sur ces beautez j’auroy tousjours la veuë,
Mes chauds soupirs plus je ne retiendray,
Je baiseray ce bel œil qui me tuë,
Et de mon mal tout haut je me plaindray.

M’advienne apres ce qu’il faut que j’attande
De ces hazards, je veux tout endurer ;
Au moins ma mort pourra vous asseurer
Que non la peur, mais l’amour me commande.


XVII


Je voyoy foudroyer d’un effort incroyable
Les murs d’une cité que l’ennemy tenoit ;
La place estoit en feu, l’air autour resonnoit.
Horrible de fumée et de bruit effroyable.

Le rebelle ennemy, d’un courage indomtable
Canonnant, sans cesser nostre choc soustenoit ;
L’un couroit à l’assaut, l’autre s’en revenoit,