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Je veux de mon manteau mon visage boucher ;
Mais las ! je m’aperçois que chacun me regarde,
Sans estre découvert je ne puis approcher.

Je ne crains pas pour moy, j’ouvrirois une armée
Pour entrer au sejour qui recelle mon bien ;
Mais je crains que ma dame en pust estre blasmée,
Son repos mille fois m’est plus cher que le mien.

Quoi ? m’en iray-je donc ? mais que voudrois-je faire ?
Aussi bien peu à peu le jour s’en va levant.
Ô trompeuse esperance ! Heureux cil qui n’espere
Autre loyer d’amour que mal en bien servant !


XV


Qui l’eust jamais pensé qu’une femme de ville,
Avec sa modestie et ses douces façons,
M’eust apris d’un regard tant de doctes leçons,
Et rendu mon esprit de sujets si fertile ?

Le sou-ris de Venus tant d’amours ne distile ;
Sa voix et ses propos tendent des hameçons,
Et n’y a si vieux cœur remparé de glaçons,
Qui ne soit penetré de flame si subtile.

Ses attraits nonchalans pleuvent mille trespas,
Et croiriez, vous tuant, qu’elle n’y pense pas ;
Bref, tout son artifice est la mesme nature.

Le doux feu de ses yeux brule sans consumer.
Mais, ô mon bon démon, garde-moy de l’aimer !
Tous ses coups vont au cœur, mortelle est leur pointure.


DIALOGUE

D.

Ah Dieu ! que c’est un estrange martire
Que d’endurer un ennuy sans le dire !
Et quand il faut tellement se contraindre,
Qu’il n’est permis en mourant de se plaindre.

L.

Le feu couvert a plus de violance
Que n’a celuy qui ses flammes élance ;
L’eau qu’on arreste en est plus irritée,
Et bruit plus fort plus elle est arrestée.

D.

Vous qui sçavez la fureur qui me donte,