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Pour estre si contraire à ma felicité ?

Pauvre moy ! je pensoy qu’à ta brune rencontre
Les cieux d’un noir bandeau deussent estre voilez
Mais, comme un jour d’esté, claire tu fais ta monstre,
Semant parmy le ciel mille feux estoilez.

Et toy, sœur d’Apollon, vagabonde courriere,
Qui pour me découvrir flambes si clairement,
Allumes-tu la nuict d’aussi grande lumiere,
Quand sans bruit tu descens pour baiser ton amant ?

Helas ! s’il t’en souvient, amoureuse deesse,
Et si quelque douceur se cueille en le baisant,
Maintenant que je sors pour baiser ma maistresse,
Que l’argent de ton front ne soit pas si luisant.

Ah ! la fable a menty, les amoureuses flammes
N’échaufferent jamais ta froide humidité ;
Mais Pan, qui te conneut du naturel des femmes,
T’offrant une toison, vainquit ta chasteté.

Si tu avois aimé, comme on nous fait entendre,
Les beaux yeux d’un berger, de long sommeil touchez,
Durant tes chauds desirs tu aurois peu apprendre
Que les larcins d’amour veulent estre cachez.

Mais flamboye à ton gré, que ta corne argentée
Fasse de plus en plus ses rais estinceler :
Tu as beau découvrir, ta lumiere empruntée
Mes amoureux secrets ne pourra deceler.

Que de facheuses gens, mon Dieu ! quelle coustume
De demeurer si tard dans la ruë à causer !
Ostez-vous du serein, craignez-vous point le rheume ?
La nuict s’en va passée, allez vous reposer.

Je vay, je vien, je fuy, j’escoute et me promeine,
Tournant tousjours mes yeux vers le lieu desiré ;
Mais je n’avance rien, toute la ruë est pleine
De jaloux importuns, dont je suis esclairé.

Je voudrois estre roy pour faire une ordonnance
Que chacun deust la nuict au logis se tenir ;
Sans plus les amoureux auroient toute licence ;
Si quelque autre failloit, je le feroy punir.

Ô somme ! ô doux repos des travaux ordinaires,
Charmant par ta douceur les pensers ennemis,
Charme ces yeux d’Argus, qui me sont si contraires
Et retardent mon bien, faute d’estre endormis.

Mais je perds, malheureux, le tans et la parole,
Le somme est assommé d’un dormir ocieux ;
Puis, durant mes regrets, la nuit pronte s’envole,
Et l’aurore desjà veut defermer les cieux.

Je m’en vay pour entrer, que rien ne me retarde,