Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

De Thou pria le gracieux auteur de le mener aussitôt chez le duc de Joyeuse, pour le remercier.

— Vous ne le trouverez point, lui répliqua Desportes. Il vous a d’ailleurs obligé de si bonne grâce, qu’un remercîment précipité lui semblerait peut-être importun. Le duc ne trouvera pas mauvais que vous y mettiez moins de promptitude.

Sur ces entrefaites, le duc de Joyeuse partit pour son gouvernement de Normandie, où il se rendait chaque année aux fêtes de Pâques. Il fut convenu que l’on attendrait son retour.

Cependant les protecteurs de l’habile écrivain allaient périr l’un après l’autre d’une mort tragique. Le 20 octobre 1587, le duc de Joyeuse fut fait prisonnier à la bataille de Coutras et tué de sang-froid par deux capitaines réformés. Il avait lui-même, quatre mois auparavant, fait massacrer cinq cents huguenots, qui s’étaient rendus à condition d’avoir la vie sauve[1] : son crime retombait sur sa tête. La nouvelle de sa fin prématurée accabla Desportes, suivant Jacques de Thou. Il éprouva le besoin de fuir le monde, d’aller dans la solitude chercher des forces contre la douleur. Il se retira donc à Saint-Victor, chez Antoine Baïf. Ce dernier poëte, admirateur passionné des Grecs et des Romains, possédait au faubourg Saint-Marceau une maison où Charles IX lui avait plusieurs fois rendu visite, où Henri III et le duc de Joyeuse avaient établi une sorte d’académie, morte en bas âge pendant les guerres religieuses[2]. C’était un asile tout à fait convenable pour un auteur. De Thou, reconnaissant de la bonne grâce avec laquelle le défunt l’avait obligé, vint y voir Desportes et mêler sa tristesse aux regrets de l’ingénieux courtisan. Le roi était tombé dans un profond chagrin : un mignon toutefois lui restait, un peu mûr sans doute, mais agréable encore ; toute sa tendresse se reporta sur le duc d’Épernon[3].

Notre poëte ne semble pas avoir recherché la protection du puissant favori. Aucun morceau ne lui est dédié, n’atteste un effort pour lui plaire. Il avait dû exister entre les deux amis du prince une rivalité qui ne permettait pas de les courtiser ensemble. Et Desportes, ayant suivi la fortune de Joyeuse, se trouvait sans doute paralysé après le drame de Coutras. Il n’eut

  1. À Saint-Maixent, le 28 juin 1587.
  2. Colletet, Vie manuscrite d’Antoine Baïf.
  3. « Les nouvelles de cette mort et route arrivées, le roy en a fait un grand deuil, même n’a pas voulu ouïr les gentilshommes, qui lui étoient envoyés de la part du roy de Navarre, pour recevoir les excuses de ce qui s’étoit passé ; et, après avoir repris ses esprits, il a fait présent à M. d’Epernon de toute la dépouille du défunt, je veux dire de l’amirauté et gouvernement de Normandie. » Pasquier, Lettre xiv du livre II.