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Il le faut dire, Amour, tu n’es rien que misere,
Travail, perte de tans, fureur, trouble et soucy.

Maintenant sans profit on implore mercy,
D’une dame cruelle esclave et tributaire ;
L’absence une autre fois fait qu’on se desespere,
Ou la peur d’un rival nous rend le cœur transy.

Les graces que tu fais pour couvrir ta coustume,
C’est sous un peu de miel cent tonneaux d’amertume,
Et pour un pront esclair un long aveuglement.

Ha ! maudit soit le jour, qui premier me veit naistre
Sous un si noir destin, qu’helas il me faut estre
D’un enfant sans pitié le triste esbatement !


VIII


Deux que le trait d’Amour touche bien vivement,
N’ont rien qu’un seul penser, qu’un desir, qu’une flame :
Ce n’est dedans deux corps qu’un esprit et qu’une ame,
Et leur souverain bien gist en eux seulement.

Ils ont en mesme tans mesme contentement,
Mesme ennuy d’un seul coup leurs poitrines entame,
Bref leur vie et leur mort pend d’une seule trame,
Et comme un simple corps ils n’ont qu’un mouvement.

Cet Amour qui, si rare, en la terre se treuve,
Ne fait qu’un de nos cœurs : les effets en font preuve ;
Nous n’avons qu’un vouloir, qu’une ardeur, qu’un desir.

Qui nous peut honorer d’assez digne louange ?
L’esprit qui se divise et qui se plaist au change
N’est point touché d’amour, mais d’un sale plaisir.


IX


Mon cœur, qui jusqu’icy t’es si bien maintenu,
Des fortunes d’Amour tres loyal secretaire,
Sans que la langue pronte, ou l’œil trop volontaire
Ait onc rien decouvert qui te soit advenu.

Si jamais un secret fut par toy retenu
Bien serré sous la clef, c’est or’ qu’il le faut faire,
Cachant mesme aux pensers le celeste mystere,
Par qui d’homme mortel dieu je suis devenu.

Ô s’il m’estoit permis de raconter mon aise,
Quel roc plein de glaçons ne deviendrait fournaise ?
Quel cœur aux traits d’Amour ne se lairroit ouvert ?

Quel amant tout ravy ne beniroit ma vie ?
Quel dieu du plus haut ciel sur moy n’auroit envie ?
Mais, ah ! c’est trop, mon cœur, tu seras decouvert.