Sans souffrir que je boive et que j’ose y toucher.
Que dira-t-on de moy, si l’on sçait ma simplesse ?
Desportes tout un jour a tenu sa maistresse
À part, sans compagnie, avec elle enfermé,
Baisant ses beaux cheveux, ses yeux et son visage,
Et n’osa, le couard, hazarder davantage :
Dites qu’un tel amant est digne d’estre aimé !
V
Quand du doux fruit d’Amour je me rens poursuivant,
Le seul digne loyer de ma perseverance,
Vous pensez m’arrester, opposant pour deffanse
Je ne sçay quel honneur, qui est moins que du vant
Moy, je mets simplement le plaisir en avant,
Et l’heureux paradis de ceste jouyssance,
Qui vous deust decharmer de la feinte apparence
De ces ombres d’honneur, qui vous vont decevant.
Mais parlons librement, et me dites, madame,
Sentez-vous de l’honneur quelque perfection,
Qui plaise au goust, au cœur, à l’esprit ou à l’ame ?
C’est une vieille erreur, qui aux femmes se treuve ;
Car tout ce bel honneur gist en l’opinion,
Et le plaisir consiste en chose qui s’espreuve.
VI
Ô soupirs bien-aimez, que ma douce rebelle
Tire de ce beau sein, mon superbe vainqueur !
Dites-moy, s’il vous plaist, nouvelles de mon cœur,
Comme il vit en prison, ce qu’il fait avec elle ?
— Le cœur qui fut à toy, reconnu pour fidelle,
N’est plus troublé d’ennuis, de peine ou de rigueur ;
La beauté que tu sers a guary sa langueur,
L’aime, le favorise et sien mesme l’appelle.
— Est-il vray, chers soupirs ? — Rien n’est plus assuré.
— Mais sera-t-il long-tans en ce lieu bien-heuré ?
Faut-il point redouter que sa dame l’en chasse ?
Cependant que je parle et qu’ils sont emportez,
Amour jure ses traits, ma flamme, vos beautez,
Que jamais plus mon cœur ne changera de place.
VII
Que me sert d’aimer tant et que l’on m’aime aussi,
Puisqu’à nos volontéz toute chose est contraire ?