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Son travail est petit : tout le bien qu’il desire,
C’est d’avoir quelque pomme et sa soif estancher ;
Où moy je brule, helas ! et mourant je pourchasse
Un bien pour mon secours, qui tout autre surpasse,
Mais qui croist le desir d’autant qu’il est plus cher.

Ô que le feu d’Amour est d’estrange nature !
Mon cœur sans defaillir luy sert de nourriture,
Je n’ay sang ny poulmon qui n’en soit consommé ;
Mais, differant en tout de la commune flame,
Encor que je vous touche, il n’esmeut point vostre ame,
Et rien qui soit en vous n’en peut estre allumé.

Je te despite, Amour, et maudy ton empire !
Que me sert qu’en mon cœur tous tes traits je retire ?
Que me sert que le ciel m’ait à toy destiné ?
Que me sert que jamais de moy tu ne t’envole,
Si, tout remply de toy, je pers tans et parole
Et ne puis amollir un courage obstiné ?

Non, je n’auray jamais en vos yeux de fiance.
Leurs regards sont trompeurs : par leur douce influance
Et par des traits piteux ils me font esperer ;
Je vous pense vaincuë et que mon mal vous touche,
Mais, voulant l’essayer, un mot de vostre bouche,
Ou vostre blanche main me contraint retirer.

Belle et cruelle main, que vous m’estes mauvaise
Je vous lave de pleurs, tout ravy je vous baise,
Je sacre à vostre honneur mille vers amoureux,
Du feu de mes soupirs j’eschauffe votre glace,
Mais, rebelle tousjours, vous m’empeschez la place,
Dont le trop de desir me rend si langoureux.

Il faut faire autrement, puis que rien je n’avance
Par tant de vains respects. Usons de violance ;
Si la douceur n’y sert, gaignons là par assaut.
Je le veux, mais en vain ; toute lasche et pesante,
Ma vigueur s’affoiblist, mon ame est languissante,
Et par trop de desir la puissance me faut.

Seul but de mes desirs, ma celeste deesse,
Helas ! voyez-vous point la fureur qui me presse ?
J’aspire à l’impossible et fuy ce que je puis ;
Un chaos amoureux dans mon ame s’assemble,
Joye et dueil, mal et bien ; j’ose et brulant je tremble,
Je ne sçay que je fay, je ne sçay que je suis.

Fut-il jamais tyran si cruel que ma dame ?
Par mille doux baisers elle attise ma flamme,
Et se plaist de me voir peu à peu desseicher.
Parmy ces privautez je l’esprouve inhumaine,
Car la cruelle, helas ! me laisse à la fontaine,