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L’an desjà quatre fois a fourny sa carriere,
Depuis que le beau jour de vos yeux m’esclaira ;
Mais qu’il se renouvelle autant qu’il luy plaira,
Je continueray ferme en ma course premiere.

Il est vray qu’en quatre ans, excusez mon offance,
Ainsi que des saisons les jours sont inconstans,
J’avouë avoir senty maint changement de tans ;
Mais la force d’Amour causoit cette inconstance.

Bien souvent dans l’esprit j’ay serré maint orage,
J’ay clos en mesme lieu la glace et la chaleur,
J’ay voulu me tuer pour vous causer douleur,
Si fort la jalousie a troublé mon courage !

Quels tonnerres d’esté furent jamais semblables ?
Combien dedans le cœur ay-je senty d’hyvers ?
Quel printans, quel automne, en changemens divers
Peurent onc égaler mes pensers variables ?

Je me suis efforcé cent fois de vous desplaire,
J’ay fait mille desseins de plus ne vous aimer,
Mais sans trop de rigueur on ne m’en peut blasmer ;
Estre sage en aimant, Dieu ne le sçauroit faire.

Amour, par tels discords, entretient sa puissance ;
La longue paix le matte et le rend surmonté ;
L’amant comme la mer soit tousjours agité,
Puis que la Cyprienne aux flots print sa naissance.

Toutesfois je connoy qu’en ma rage insensée
Le transport aveugle bien souvent m’a deceu ;
Je connoy que le faux pour le vray j’ay receu,
Et deteste en pleurant mon offense passée.

Pardonnez-moy, deesse, et, perdant la memoire
De ces longues erreurs, n’y pensez nullement ;
Et pour le tans suivant songeons tant seulement
À combler nostre amour d’heur, de joye et de gloire.

Rendons-la si parfaite, et si claire et si belle,
Qu’elle serve d’exemple aux siecles à venir ;
Et que l’effort des ans, au lieu de la finir,
Fasse que sa memoire à jamais soit nouvelle.


STANCES


Quel secours faut-il plus que j’attende à ma paine,
Si ce n’est par la mort, qui m’est toute certaine ?
Puisque mes longs soupirs, ma foy, mon amitié,
Le brasier de mon cœur, l’effroy de mon visage,
Ne peuvent esmouvoir vostre obstiné courage,
À se laisser toucher d’un seul trait de pitié ?

Tantale aupres de moy bien-heureux se peut dire !