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Si parfaite beauté n’est pas une fontaine,
Où chacun puisse aller pour se desalterer.

Si le plus grand des dieux vouloit vous adorer,
Contre luy de fureur mon ame sera plaine ;
Comment donc souffriroy-je une personne humaine ?
Les rois et les amans veulent seuls demeurer.

Descouvrez à nos yeux quel est vostre courage,
Gardant celuy des deux qui vous plaist davantage,
Sans ainsi feintement l’un et l’autre abuser.

J’ayme mieux n’avoir rien, que si j’estoy le maistre
De la moitié d’un bien qui tout à moy doit estre :
Une si belle fleur ne se peut diviser[1].


PLAINTE


Quand de m’aimer vous juriez feintement,
Avec tant d’asseurance,
J’appris vos tours et mon aveuglement,
Contre toute esperance.

Ô la douleur dont je fus tourmenté,
À si tristes nouvelles !
Tous les tyrans n’ont jamais inventé
De paines si cruelles.

Depuis ce tans je combas nuict et jour
Le rocher de mon ame,
Pour en tirer la memoire et l’amour
D’une si sainte dame.

J’auray du mal, mais je seray vainqueur
D’une amour si parjure ;
Car de mes mains j’arracheroy mon cœur,
S’il souffroit cette injure.

Vostre beauté m’a longuement trompé
Par sa douce feintise ;
Pour l’advenir si j’en suis ratrapé,
N’espargnez ma sotise.

Je ne croy plus vos propos discordans,
Ni vos plaintes frivoles,
Car les effets, qui sont trop évidans,
Dementent les paroles.

Ne m’alleguez qu’il falloit receler

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Come soffrir potro veder altrui
    Viver del dolce sguardo onde vivo io ?
    Ahime ? che questo no è fonte o rio,
    Ove bever potiamo ed io, e lui.