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Mais las ! qu’en y pensant je supporte de rages !

Si faut-il se resoudre et, sans plus me flatter,
Retrancher de mon tout ce qui le peut gaster ;
Ha ! j’en suis resolu, la chose est asseurée !

Aux cœurs sans loyauté sot qui garde sa foy.
Si sa legereté la separa de moy,
Ma constance à jamais l’en tiendra separée.


II


Prince, à qui les destins en naissant m’ont soumis,
Quelle fureur vous tient d’aimer cette infidelle ?
L’air, les flots et les vents sont plus arrestez qu’elle ;
Puisse une telle erreur troubler mes ennemis !

Son œil, par qui tant d’heur vous est ore promis,
Abusa mon esprit par la mesme cautelle ;
Ce coral sou-riant, qui les baisers appelle,
Mille fois ses tresors à souhait m’a permis.

Comment peut en l’aimant vostre ame estre asseurée ?
Me laissant pour vous prendre, elle s’est parjurée,
Ce cœur qu’elle dit vostre estoit naguere à moy.

Elle eut pour me donter toutes les mesmes armes :
C’estoient mesmes sermens, mesmes vœux, mesmes larmes.
Vous pourrez-vous fier à qui n’a point de foy ?


III


Quand vous pensez couvrir vostre amour insensée,
Et feignez dédaigner ce que vous estimez,
Vos desirs retenus s’en font plus enflamez,
Et d’un coup plus profond vostre ame est enfoncée ;

Vostre pasle couleur, vostre grace forcée,
Vos soupirs, vos langueurs, monstrent que vous aimez.
Vous vous trompez donc fort, lorsque vous presumez
D’aveugler un amant qui list dans la pensée.

J’avoy nourry mes feux secrettement ardans
Douze ans, brulans tousjours entre mille accidans,
Et j’en sens tout à coup la chaleur refroidie.

Quand j’y pensoy le moins, j’ay mon cœur recouvré,
Car en vous captivant, vous m’avez delivré,
Et doy ma guarison à vostre maladie.


IV


Non, non, je veux mourir plustost que d’endurer
Qu’un autre aille cueillant la moisson de ma paine ;