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Pour trouver l’ennemy d’où procede ma perte,
Luy fendre l’estomach, voir sa poitrine ouverte,
M’abbreuver de son sang, me nourrir de sa chair,
Et de son cœur indigne Angelique arracher,
Rendant par cet exemple évident témoignage
Combien la jalousie en soy porte de rage ?
Mais, las ! que dy-je ? où suis-je ? Ay-je donc projetté
D’offenser, trop ingrat, la divine beauté,
Qui me retient si ferme en son obeyssance ?
Ô dieux ! pardonnez-moy s’il vous plaist cette offance !
Car elle est innocente, et suis tout asseuré
Qu’elle a de mes malheurs mille fois soupiré,
Et qu’elle a grand regret de son amour faussée.
Mais quoy ? le ciel cruel contre moy l’a forcée,
Et luy a fait choisir ce nouvel amoureux.
Hé ! que ne peut le ciel malin et rigoureux ?
Vy donc en doux repos, ô ma belle deesse !
Que jamais ton Medor pour autre ne te laisse ;
Ayez tousjours un cœur, un vouloir, une foy,
Et tout vostre malheur puisse tomber sur moy ! »
Il se faisoit jà tard, et l’œil qui nous éclaire
Avoit presque mis fin à son cours ordinaire ;
Toutesfois sa lumiere encore apparoissoit,
Mais en se retirant peu à peu s’abaissoit ;
L’amant de plus en plus ses sanglots renouvelle,
Il fait sortir du chef une source éternelle,
Et pourroit-on juger, voyant couler ses pleurs,
Qu’il pretend d’y noyer sa vie et ses malheurs.
Il tient les bras croisez, et tout transi regarde
Phebus, qui de pitié sa carriere retarde,
Et, les yeux vers le ciel incessamment fichez,
Sort ces derniers regrets de sanglots empeschez :
« Oyseaux qui voletez par ces lieux solitaires,
Eaux, chesnes et buissons, mes loyaux secretaires,
Oyez à cette fois ce qui doit m’advenir,
Puis de mes actions perdez le souvenir.
Vents, cessez un petit, que ma voix espanduë
Ne soit point autre part qu’en ce bois entanduë ;
Et toy, luisant soleil, arreste un peu ton cours,
Et assiste à la fin de mes malheureux jours.
Ce sera bien tost fait, car je veux en peu d’heure
Voir la fin de ma vie et du mal que j’endure.
Et toy, ciel inhumain, qui tousjours m’as suivy
Comme un fier ennemy, sois au moins assouvy
De ma mort avancée, et du sang que je tire
Par ce fer de mon corps pour appaiser ton ire ! »