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Tient l’œil fiché dessus, qui coule sans repos,
Et demeure long-tans sans dire un seul propos.
Mais, voyant le courrier, il tasche à se contraindre,
Et retient au dedans l’ennuy qui le fait plaindre.
« Va, mon amy, dit-il ; annonce le discours
En mille lieux divers des volages amours
De ta belle maistresse, helas ! trop variable,
Et luy conte au retour, pour nouvelle agreable,
Que Sacripant est mort, qu’il est froid et transi,
Et que pour bien aimer on le guerdonne ainsi. »
Ayant dit ces propos en voix basse et plaintive,
S’égare au fond du bois d’une course hastive,
Taxant et maudissant par cris desesperez
Les astres sans raison contre luy conjurez.
Tout a pitié de luy : les rochers qui l’entendent,
Esmeus de ses regrets, par le milieu se fendent,
Et les petits oyseaux, de sa douleur touchez,
Demeurent tous muets sur les branches perchez.
Le messager, surpris d’une telle merveille,
Le suit tant comme il peut de l’œil et de l’oreille,
Pour en sçavoir l’issuë, et, s’approchant de près,
Se musse doucement dans un lieu bien espès,
D’où sans estre apperceu, faisant un coy silance,
Il oit tous ses regrets et voit sa contenance,
Contenance si triste et pitoyable à voir,
Qu’elle eust peu l’enfer mesme à douleur esmouvoir ;
Car il se laisse aller à ses tristes pensées,
Et mille passions contrairement poussées,
Le courroux, la douleur, la rage, la pitié,
La haine bien conceue et la vraye amitié,
Se font guerre en son ame, et ne veulent permettre
Qu’à l’une des deux parts il se puisse remettre.
Ainsi comme un vieux chesne agité rudement
Par deux vents ennemis soufflans diversement,
L’air single du grand bruit de leur forte secousse ;
L’un le pousse deçà, et l’autre le repousse,
À l’envy l’un de l’autre, et diriez à les voir
Qu’il y a de l’honneur à qui le fera choir.
Durant que ces pensers font guerre ainsi diverse,
Le roy, qui n’en peut plus, se jette à la renverse
Sur l’herbe, où sans parler demeure longuement,
Puis parlant en soy-mesme il dit tout bassement :
« Qui donnera conseil à mon ame oppressée ?
Doy-je pas, pour vanger mon amour offensée,
Aller, non au Catay, mais jusqu’en celle part
Où le soleil jamais ses rayons ne depart,