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C’est-elle qui m’envoye en divers lieux estranges
Pour annoncer sa gloire et ses dignes louanges ;
Et pour faire sçavoir qu’un Cupidon nouveau,
Un petit dieu d’amour tout celeste et tout beau,
La rend de ses beautez doucement embrasée,
Et que vrayment heureuse elle est son espousée.
C’est un dieu pour certain digne d’estre adoré.
Mais voyez, ce dit-il, son portrait figuré,
Et luy faites honneur ; c’est une chose sainte,
Car du pinceau d’Amour cette image est dépainte. »
Ainsi dit le courrier, dépliant de la main
Un parchemin couvert qu’il portoit dans le sein,
Où se voyoit au vif la belle portraiture
Du bien-heureux Medor, chef-d’œuvre de nature.
Ah ! Dieu ! que de beautez s’esbatoient là-dedans !
Que d’appas, que de traits, que de flambeaux ardans !
Que de lys, que d’œillets, que d’amoureuses graces,
Que d’agreables morts, de douceurs et d’audaces !
L’œil y restoit perdu, l’esprit tout estonné,
Et le corps plein de feu de cœur abandonné.
Si tost que Sacripant y eut jetté la veuë,
Il la sent aussi-tost couverte d’une nuë ;
Une froide sueur par les membres luy court,
Il perd les sentimens, muet, aveugle et sourd ;
Son cœur enflé de rage au dedans se mutine,
Et pour sortir dehors combat dans sa poitrine ;
Sa jouë est toute tainte en mortelle couleur,
Son ame est languissante en extrême douleur,
D’amertume et de fiel sa bouche est toute plaine,
Et tombe dessus l’herbe, ayant perdu l’halaine.
Qui a veu quelquesfois un qui n’y pense pas,
Par un pront accident conduit pres du trespas,
Qui perd les mouvemens, la parole et l’ouye,
Et ne monstre d’une heure aucun signe de vie ?
Il a veu Sacripant de son long estendu,
Ayant avec l’esprit tout sentiment perdu.
Il ne respire point et reste en telle sorte,
Qu’on ne peut l’estimer qu’une personne morte ;
En fin les yeux baignez vers le ciel élevant,
Par un ardant soupir monstre qu’il est vivant.
Lors il ouvre la bonde à ses larmes brulantes,
Il fait de ses deux yeux deux rivieres coulantes,
Et de son estomach, sans cesser haletant,
De grands flots de soupirs coup sur coup vont sortant.
Il reprend le pourtrait, tout privé de soy-mesme,
Et tremble en le voyant de passion extrême,