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Il estoit fort haute heure, et le soleil bien haut
Pour la saison si douce estoit ardant et chaud,
Quand ce gentil amant, dont la gloire évantée
Estoit en mille endroits par sa vertu plantée,
Se trouva dans un bois de sommeil aggravé,
Ayant long-tans devant maint haut fait achevé ;
Un bois que la nature avoit fait pour complaire,
Où couloit en serpent une eau luisante et claire,
D’arbrisseaux et de fleurs ombragée à l’entour,
Dont le flot tremblotant sembloit parler d’amour.
L’air rit à l’environ, et les halaines douces
Des zephyres mollets d’agreables secousses
Font branler le feuillage, et vont rafraichissant
Celuy qui travaillé s’y repose en passant.
Sacripant y demeure, et, couché sur l’herbage,
Pense à se reposer au frais de ce rivage
Du travail et du chaud, et de l’amour cruel
Qui luy ronge le cœur, vautour perpetuel.
Ah ! chetif, que fais-tu ? fuy ce lieu, je te prie ;
Car, bien qu’il soit plaisant, que l’herbe y soit fleurie,
Le feuillage agreable et le vent adoucy,
Si ne dois-tu pourtant y demeurer ainsi.
Las ! ne l’entends-tu point ? ce ruisseau qui murmure,
Pleure et plains de pitié ta prochaine adventure.
Mais je parle à un sourd : l’archer malicieux
L’a privé de l’ouye aussi bien que des yeux.
Ce roy s’arresta là, n’ayant en la pensée
Que l’unique beauté dont son ame est blessée ;
Il en fait cent discours en son entendement,
Il se dit bien-heureux d’aimer si hautement ;
Voire est si hors d’esprit en ses amours, qu’il pense
Que l’honneur du tourment luy sert de recompense.
Mais, comme il est ainsi songeant et ravassant,
De l’un de ses pensers un autre renaissant,
Survient un messager, qui entre en ce bocage
Pour y passer le chaud et se mettre à l’ombrage.
Sacripant se retourne en le voyant venir
(Las ! on ne peut fuir ce qui doit advenir !)
Il l’enquiert d’où il est, quel chemin il veut prendre,
Et qui luy fait ainsi son voyage entreprendre.
Le courrier qui le juge à son geste hautain
Quelque grand chevalier : « Je suis (dit-il soudain)
Messager d’Angelique, et ce mot vous suffise,
Une que le ciel mesme admire, honore et prise,
Qui sert de jour au monde, et dont l’œil gracieux
Recele tous les traits qui surmontent les dieux ;