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Si jamais amoureux ont esté travaillez,
Estans de jalousie et d’amour tenaillez,
Les amans d’Angelique à ceste fois le furent,
Lors que sans y penser ces nouvelles ils sceurent.
Ce ne sont que regrets et soupirs enflammez,
Ce ne sont que sanglots sur l’arene semez,
L’air retentit par tout de leurs cris pitoyables ;
Ils invoquent la mort, recours des miserables ;
L’œil jamais ne leur seiche, et de propos cuisans
Blasphement la fortune et les astres nuisans.
Mais comme leur amour fut de diverse sorte,
Ils sentirent aussi de leur passion forte
Les effets differens, et cet aspre courroux
Aux uns estoit extrême et aux autres plus doux,
Car, selon qu’ils aimoient d’amour grande ou petite,
Fureur petite ou grande au dedans les irrite.
Or le premier de tous, qui ce fait entendit,
Fut le comte Roland, un jour qu’il se perdit,
Cherchant un chevalier ; car sa triste advanture
L’égara dans un pré tout fleury de verdure,
Aupres de la fontaine où les amans heureux
Cueilloient de leurs amours tant de fruits savoureux.
Là fut-il assailly d’une ardante tristesse,
Reconnaissant le nom de sa fiere maistresse
Et celuy de Medor, engravez par endroits
De la main d’Angelique en l’écorce des bois ;
Mais c’estoit peu de cas, et la jalouse flame
Ne prenoit comme point de vigueur en son ame,
N’eust esté le pasteur, hoste des deux amans,
Qui luy fist les discours de leurs contentemans,
Et comme leur amour avoit là pris naissance,
Dont sans beaucoup languir ils eurent jouyssance.
Ce fut lors que le comte, ardamment allumé,
Eut de mille cousteaux l’estomach entamé ;
Ce fut lors qu’il ouvrit à son dueil la carriere,
Ce fut lors qu’il maudit la celeste lumiere ;
Ses cris furent de rage et de fureur guidez,
Et ses yeux furent faits deux torrens débordez,
Qui couloient nuit et jour d’une longue entresuite,
Laschant maints tourbillons de sa poitrine cuite.
En fin luy defaillant le vent pour soupirer,
Ne pouvant plus du cœur une plainte tirer
Et de ses tristes yeux la source estant tarie,
Sa debile raison fist place à la furie ;
Bref, il courut les champs du mal qui l’agitoit,
Piés nuds, estomach nud, ignorant qu’il estoit.