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C’est son dieu, c’est son tout, c’est l’ame de son ame ;
Et luy qui sent au cœur une pareille flame,
N’a plaisir qu’à la voir et à se contenter
De toutes les douceurs qu’un amant peut gouster.
Soit quand Phœbus revient de la marine source,
Soit quand il a fourny la moitié de sa course,
Ou soit quand il descend de ses chevaux lassez,
Il voit presque tousjours ces amans embrassez.
Ores dans son giron Angelique est couchée,
Ores dedans sa main tient la teste penchée
Et se mire en ses yeux, et or’ en se haussant
Elle va son esprit sus la lèvre suçant ;
Elle languit dessus sans dire une parole,
Et à peu que son ame en ces jeux ne s’envole.
Son cœur est tout esmeu d’amoureux tremblement ;
Et luy qui la regarde en ce doux mouvement
D’un œil à demy clos, tout ravy s’esmerveille
De voir tant de beautez sur sa bouche vermeille,
Et de mille baisers longs et delicieux
Va repaissant son ame et sa langue, et ses yeux.
Il passerent deux mois en ceste douce guerre,
Jouyssans à souhait d’un paradis en terre,
Au logis d’un pasteur, où leur contentement
Et leur parfaite amour eut son commencement.
Or il advint un jour qu’Angelique eust envie,
Pour mieux continuer cette agreable vie,
De revoir son royaume et de s’en retourner,
Pour faire son Medor nouveau roy couronner.
Du soleil tout voyant la vermeille courriere
Chassoit l’humide nuict par sa vive lumiere,
D’une couleur dorée enrichissant les cieux,
Quand ces jeunes amans partirent de ces lieux,
Prenans congé devant des gracieux ombrages,
Des antres, des rochers, des prez et des rivages,
Et laissans pour témoins de leurs plaisirs passez
Sur l’escorce des bois leurs noms entrelacez.
Tandis la renommée, hastive messagere,
Met ses ailes aux pieds, vollant pronte et legere
Aux quatre parts du monde, et par tout en passant
Va de ce nouveau fait la merveille annonçant,
Et crie à pleine voix qu’Angelique la belle,
Celle qui se monstroit si hautaine et rebelle,
A changé sa rigueur en douce privauté,
Et qu’un pauvre soldat jouyst de sa beauté,
Un More bas de race et plus bas de courage,
Pour je ne sçay quel fard qui luit en son visage.