Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et la griève douleur qui son ame oppressa,
Quand ingrat et jaloux son Medor la laissa,
Medor qui tenoit seul sa pensée asservie,
Son cœur, son petit œil, son idole et sa vie.
Amour voulant un jour punir ses cruautez,
Et vanger les amans qu’elle avoit mal traitez,
Luy tira droit au cœur une flèche divine,
Et rompit le glaçon qui geloit sa poitrine ;
Lui fist aimer Medor, un jeune homme inconnu,
Un mignon qui fut seul pour amant retenu,
Et qui jouyt tout seul de la despouille aimée,
Recueillant la moisson par tant d’autres semée.
Trop rare et digne prix de ce nouvel amant,
Qui des travaux d’autruy receut le payemant !
Ô paladin Roland ! ô roy de Circassie !
Ô valeureux Renaud ! que vous sert, je vous prie,
De vous estre aux hazards si librement trouvez,
Et d’avoir tant de fois les dangers esprouvez,
Rendant en mille endroits vostre vertu notoire,
Puis qu’un beau Ganymede en remporte la gloire,
Et que ce qui vous est si justement acquis
Est sans aucun travail par un autre conquis ?
Un autre qui triomphe en heureuse abondance,
Et vous autres, chetifs, en mourez d’indigeance !
Or ce jeune Adonis, d’Angelique adoré,
Eut le chef tout couvert d’un petit poil doré,
Qui flotte mollement quand le vent qui s’y jouë,
Ravi de sa beauté doucement le secouë.
Une toison subtile au menton luy naissoit,
Qui comme un blond duvet mollement paroissoit,
Prime, douce et frisée, et nouvellement creuë,
Comme petits flocons de soye bien menuë.
De coral fut sa bouche, et son œil grossissant
Tressailloit de clarté comme un nouveau croissant ;
Il eut le teint de lys et d’œillets mis ensemble,
Ou comme la couleur d’une rose qui tremble,
Nageant tout lentement dessus du laict caillé ;
Bref, il semble à le voir d’un pré bien émaillé,
Qui découvre au soleil mille beautez nouvelles,
Quand la verde saison rend les campagnes belles.
Amour n’est point si beau, Angelique n’eust sçeu
Se garder d’enflammer aux rais d’un si beau feu ;
Aussi, la pauvre amante au fond du cœur blessée,
Rien plus que son Medor ne loge en sa pensée.
Elle est tousjours aupres, et ne pourroit durer,
S’il falloit tant soit peu de luy se separer.