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plaire, les ducs de Joyeuse et d’Épernon s’empressèrent de l’imiter. Les autres seigneurs suivirent leur exemple ; les gentilshommes, secrétaires, pages et laquais de ces derniers les singèrent à leur tour. Les rues étaient donc pleines de gens qui faisaient leurs courses et leurs visites en jouant du bilboquet[1]. Ô majesté des rois, de quel respect tu frappes les historiens !

Desportes suivait-il Henri III dans ses escapades nocturnes ? Pour conserver ses bonnes grâces, feignait-il de rafoler du bilboquet ? Cela me parait évident, car le madré poëte ne quittait guère le prince ni le duc de Joyeuse. Admirable influence des cours sur le talent !

Ces royales distractions, par bonheur, étaient loin d’absorber tout le temps de Desportes. L’historien Jacques de Thou, dans ses Mémoires, nous le montre occupé d’affaires plus graves. Ayant été lui-même nommé maître des requêtes, son oncle voulait qu’il se fît recevoir président en survivance. Augustin de Thou occupait cette charge au parlement et ne l’avait acceptée, disait-il, que dans l’espoir de la transmettre à son neveu. Mais Jacques n’aimait ni les sollicitations ni les démarches, et craignait de ne pas réussir. Pendant que l’oncle se dépitait, François Choesne, lieutenant général de Chartres, arriva fort heureusement à Paris. C’était un homme judicieux, qui avait occupé un emploi dans l’ambassade française, à Rome, quand le neveu y remplissait d’autres fonctions. Ils s’étaient liés tout naturellement. Un jour donc, il vint rendre ses devoirs au président de Thou. Celui-ci, connaissant l’amitié qui existait entre les deux jeunes gens, lui confia son déplaisir. Il le pria ensuite de voir son neveu, de lui remontrer qu’il avait tort de négliger ses intérêts. Choesne accepta volontiers la commission, persuadé qu’il ferait une action agréable au vieux magistrat, utile à son ancien collègue et honorable pour lui-même.

Il alla donc trouver aussitôt Jacques de Thou, et lui exposa le sujet de sa visite.

— Mon Dieu ! lui répliqua l’historien futur, je vous suis fort obligé de votre empressement. Je reconnais aussi la bonne volonté de mon oncle. Mais attendons, je vous prie, un moment plus favorable. Vous savez combien les sollicitations me répugnent, combien les assiduités que demandent les grands s’accordent peu avec mon humeur. Ce qu’on achète par des prières me semble toujours trop payé. Or on ne peut rien obtenir de nos jours sans multiplier les instances et les démarches ; il faut

  1. Journal de l’Estoile, année 1585.