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IMITATION DE L’ARIOSTE


AU CHANT XXXIII


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Las ! ce qui m’a tant pleu n’étoit rien qu’un faux songe,
Et mon mal au contraire est un ferme réveil ;
Mon heur s’est envolé comme un coulant sommeil,
Et ma peine éternelle obstinément me ronge.

Pourquoy mes sens trompez, en veillant n’avez-vous
Le plaisir qu’en songeant j’ay veu de la pensée ?
Que ne jouyssez-vous de la gloire passée,
Et du bien fugitif qui m’a semblé si doux ?

Sous quel astre, ô mes yeux ! le ciel vous fit-il estre,
Que, clos d’un doux sommeil, vous voyez tout mon bien,
Et qu’ouvers, mon plaisir s’esvanouysse en rien ?
Las ! au lever du jour ma nuict commence à naistre !

Le veiller importun m’est combat inhumain,
Et le songe agreable une amoureuse trève ;
Las ! mon songe est menteur ! et l’ennuy qui me grève,
Ainsi que mon réveil, se trouve tout certain.

Si du faux naist ma paix, si le vray me fait guerre,
Et si jamais au vray je n’ay peu m’esjouyr,
Faites de grace, ô dieux ! que je ne puisse ouyr
Un mot de verité, tant que seray sur terre.

Et si le dur réveil me peut tant travailler,
Et que le songe doux de soucis me delivre,
Accordez à mes vœux, ce qui me reste à vivre,
Que je songe tousjours sans pouvoir m’esveiller.

Le réveil, comme on dit, à la vie est semblable,
Et la mort au sommeil ; mais contraire est mon sort.