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Elle voit que je meurs implorant sa rudesse,
Et differe à m’aider lors que je seray mort !
Arreste, Amour cruel, arreste un peu la belle :
Il semble qu’elle volle, et je ne puis marcher ;
Ou fay que je retourne en ma saison nouvelle,
Quand ses yeux ny tes traits ne m’avoient sceu toucher.
Mais, ah ! que mon attente est folle et miserable,
De prier un tyran qui s’esgaye aux douleurs !
Car plus il est prié, moins il est exorable,
Et ne vit que de cris, de sanglots et de pleurs.
Mais dequoy, las ! chetif ! dequoy me doy-je plaindre,
Fors que de mon desir qui m’éleve trop haut
Et, me poussant en l’air, jusqu’au ciel veut attaindre,
Où il se brûle l’aile et tombe d’un grand saut ?
Lors un vain esperer des plumes me rattache ;
Je revole et retombe ainsi que j’avoy fait.
Voilà comme en souffrant je n’ay point de relasche,
Et ce qu’un jour avance un autre le desfait.
J’accuse mon desir, mais de meilleure sorte,
En me plaignant de moy, je me dois accuser ;
Car seul de ma raison je luy trahy la porte,
Tant il sceut finement ma simplesse abuser !
Et depuis, à clos yeux, comme il veut il me guide,
Et n’y puy resister ; car il s’est fait trop fort,
Joint que pour l’arrester je n’ay ny frein ny bride ;
Et si suis tout certain qu’il m’emporte à la mort.
Mais je me plains de moy, qui n’ay point fait de faute
Que de vous aimer trop. M’en puis-je repentir ?
Certes non. Et, qui plus, ma jeunesse peu caute
Des traits de vos regars n’eust sceu se garantir.
Devoy-je user de force ou d’un art secourable,
Pour ne voir vostre teint à l’aurore pareil,
Vos yeux et vostre bouche ? « Il est trop miserable,
Qui refuse de voir la clarté du soleil. »
Cesse, ô chant mortuaire ! et trouvant l’inhumaine,
Qui met toute sa gloire à meurtrir et blesser,
Dy-luy qu’elle peut vivre et contente et hautaine,
Puis qu’en la mort des siens gist son plus doux penser.
Si tu vois au retour que, de fureur contrainte,
Ma pauvre ame affligée ait ce corps delaissé,
Honore mon trespas d’une petite plainte,
Et fay voir que l’Amour m’a mal recompensé.


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