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IMITATION


DE LA


COMPLAINTE DE BRADAMANT


AU CHANT XXXII DE L’ARIOSTE


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Doncques sera-t-il vray qu’il faille que je suive
Une, helas ! qui me fuit et se cache de moy ?
Doncque sera-t-il vray qu’il faille que je vive
Tousjours desesperé sous l’amoureuse loy ?
Souffriray-je tousjours l’orgueil qui me maistrise,
Riant lors que mon œil plus de larmes espand ?
Me faut-il estimer celle qui me desprise ?
Me faut-il reclamer celle qui ne m’entand ?
Las ! que mon esperance est douteuse et petite !
Celle dont l’œil divin de mon ame est vainqueur,
Reconnoist les mortels si peu pour son merite
Qu’il ne faut moins qu’un dieu pour vaincre un si beau cœur.
Encor si quelque dieu, poingt d’amour et de gloire,
À si digne combat hazardoit son pouvoir,
Je suis aussi certain qu’elle auroit la victoire,
Comme je suis douteux qu’il la peust esmouvoir.
Elle sçait, la rebelle ingratement hautaine,
Si mon cœur, son esclave, est ferme à l’adorer,
Et, pour le nom d’amant que merite ma paine,
Du seul tiltre de serf ne me daigne honorer.
Son œil cruel et beau voit le mal qui me presse,
Et ne s’avance point pour me donner confort ;