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Des restes du cadavre, il les chasse, il les suit ;
Les monts, rives et bois retentissent du bruit ;
Et ne cesse jamais, ardant à la poursuite,
Regardant tous les lieux où s’égare leur fuite.
Mais ainsi qu’il les suit, criant horriblement,
Il se trouve à la fin contre le monument
De l’heureuse Ysabelle au ciel victorieuse,
Pour avoir par sa fin fait preuve glorieuse
De foy, de chasteté, d’un cœur constant et fort,
Et que la vraye amour est vive apres la mort.
Le payen tout soudain reconnoist la tour forte ;
Il reconnoist le pont, il reconnoist la porte,
Il reconnoist le fleuve, et connoist les escus
De tant de chevaliers qu’il y avoit vaincus,
Encor qu’il eust perdu tout autre souvenance ;
Car le fleuve d’oubly contre Amour n’a puissance.
L’esprit à cette fois tout coy s’est arresté,
Adorant le saint lieu, tombeau de loyauté.
Et pour ce que des corps privez de sepulture
Les esprits sont errans cent ans à l’advanture,
L’esprit de Rodomont, qui doit errer autant,
Erre autour du tombeau, ses amours lamentant.
On le voit quelquefois apparoistre visible,
Plus grand qu’il ne souloit, plus fier et plus terrible
Courant dessus le pont et hurle toute nuit,
Faisant tout resonner d’un effroyable bruit ;
Et tousjours en criant il semble qu’il appelle :
Rodomont, Rodomont, Ysabelle, Ysabelle !




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